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Dossier

Dix ans après leur création, critiquées mais debout

Les ARS au révélateur de l'épidémie

Par Martin Dumas Primbault - Publié le 02/06/2020
Les ARS au révélateur de l'épidémie

A Rennes, le 11 mars, les agents de l'ARS Bretagne répondent aux inquiétudes des Français via un numéro vert
AFP

Avec le Covid-19, les agences régionales de santé (ARS) ont affronté la crise la plus marquante de leur histoire. L'occasion d'établir le bilan des forces et faiblesses de ces instances, critiquées depuis une décennie mais dont le modèle sait aussi s'adapter.

Les agences régionales de santé (ARS) ont-elles été à la hauteur de la crise ?

Depuis leur création en 2009 par la loi Bachelot (et leur installation en avril 2010), elles n'ont jamais fait l'unanimité. Souvent jugées partiales par le secteur privé, épinglées pour leur caractère bureaucratique ou leur éloignement du terrain (lire page 3), ces agences ont essuyé la crise sanitaire la plus violente de leur histoire, une épreuve et un révélateur.

Dans les régions exposées, il a fallu gérer le tsunami et réorganiser les activités. À peine sorti de l'œil du cyclone, le Dr Simon Marmor, directeur médical du groupe hospitalier Diaconesses Croix Saint-Simon (privé non lucratif), a rendu hommage à l'action de l'ARS Île-de-France. « Lors de l'activation du plan blanc début mars, certains établissements ont continué à opérer, se souvient-il. Heureusement, l'ARS a repris la main rapidement en donnant des consignes très claires de déprogrammation et en imposant à tous la même adaptation d'activité. » Le chirurgien salue la « coordination très efficace » instaurée entre les trois secteurs (public, privé lucratif et non lucratif). « Nous avions des discussions sept jours sur sept avec tous les établissements pour calibrer au mieux l'offre de soins », se rappelle-t-il. 

Pas des as de la logistique 

Un satisfecit qui n'étonne pas Étienne Champion, patron de l'ARS Hauts-de-France. « La coordination, c'est notre cœur de métier », assure-t-il. « On entend souvent dire que les ARS sont des structures purement administratives et financières, c'est faux, on a dans notre culture la sécurité sanitaire et la gestion de crise », insiste le responsable.  

Mais la crise a aussi conduit à des frictions et même des blocages. « La mise en œuvre d'un dialogue entre les acteurs a été lente, parfois même un peu chaotique dans le Grand Est et ailleurs », pointe Frédéric Valletoux, président de la Fédération hospitalière de France (FHF). « Les ARS ne sont pas faites pour la logistique », juge le maire de Fontainebleau citant la distribution des masques et les transferts de patients.

En Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Dr Dominique Petit, qui a coordonné l'envoi de soignants en soutien à l'hôpital de Mulhouse (Haut-Rhin), n'épargne pas sa tutelle marseillaise. « Elle rendait tout compliqué et ralentissait les procédures », se souvient l'anesthésiste. L'agence intéressée se défend auprès du « Quotidien » : « Le 1er avril, suite à une demande du ministère, nous avons mobilisé plus de cent professionnels en quelques heures », plaide l'ARS. 

Côté médecine de ville, certaines décisions locales ont pu irriter les libéraux. Dans le Centre-Val de Loire, l'ARS a refusé de payer au forfait les praticiens dans les centres Covid-19. Dans plusieurs régions, les libéraux ont eu le sentiment que les agences privilégiaient les hôpitaux pour la distribution de matériels de protection.

La question de la reprise d'activité est un autre terrain sensible pour le privé. Maintenant que la vague est passée, « certaines ARS terrorisent les directeurs d'établissement » en imposant une liste d'actes, s'est agacé le Dr Jean-Paul Ortiz, président de la CSMF. Pour Lamine Gharbi, président de la Fédération de l'hospitalisation privée (FHP), les ARS restent trop souvent – crise ou pas – « les tuteurs des hôpitaux », induisant une « distorsion de concurrence » dans l'attribution des autorisations d'activité.

Dépendance au pouvoir

Les agences favorisent-elles les hôpitaux ? « Les situations ne sont pas comparables car nous avons la tutelle directe des établissements publics au contraire des cliniques et leurs missions ne sont pas forcément les mêmes », élude Étienne Champion, qui assure appliquer « un principe d'équité » dans ses arbitrages.

C'est surtout l'hétérogénéité des stratégies qui déroute. Certaines ARS sont jugées « facilitatrices », d'autres « bloquantes ». Et parfois fort maladroites : le 8 avril, le gouvernement a brutalement remercié le DG de l'agence du Grand Est après des propos sur la suppression de postes au CHRU de Nancy...

« Soit on a un État jacobin qui dirige de Paris, soit on décentralise mais on ne peut pas rester dans cet entre-deux », analyse Lamine Gharbi (FHP). Les agences sont trop dépendantes de « la personnalité du directeur général », juge Frédéric Valletoux. Des accusations qui n'ont pas lieu d'être pour Étienne Champion. « Demander aux ARS de s'adapter au terrain, plaide le directeur de l'ARS Hauts-de-France, c'est aussi leur reconnaître le droit de ne pas faire partout la même chose ».  

Martin Dumas Primbault