Quand une épidémie d’infections à Elizabethkingia anophelis particulièrement importante (21 décès pour 66 cas confirmés) s’est déclarée dans le Wisconsin en 2015, les chercheurs de l’unité Génomique évolutive des microbes de l’Institut Pasteur et du CNRS ont contacté le centre de contrôle des maladies et de la prévention (CDC) d’Atlanta. Ils avaient en effet déjà décrit plusieurs lignées de cette bactérie. Leur collaboration a montré que cette souche présentait une capacité mutante très élevée et des caractéristiques écologiques pouvant permettre sa survie – en plus de l’antibiorésistance déjà propre à l’espèce. Le Dr Sylvain Brisse, directeur de recherches à l’Institut Pasteur, et coauteur de l’étude parue dans « Nature Communications » explique au « Quotidien » les caractéristiques de cette lignée, et l’intérêt d’avoir pu partager en temps réel les données avec les équipes américaines.
« Nous avions collaboré avec l’Institut Pasteur de Bangui, quand deux cas de méningites néonatales avaient été recensés en République centrafricaine », présente le Dr Brisse. « Nous avions réalisé l’étude génomique de la souche présente sur place. En la comparant avec les séquences déjà publiées de souches taïwanaise et singapourienne, nous avions observé une diversité de lignées : ces trois émergences n’étaient pas liées entre elles d’un point de vue épidémiologique. Nous étions sur le point de publier cette étude quand l’épidémie s’est déclarée dans le Wisconsin. » À partir d’isolats issus de patients américains, les équipes françaises ont analysé les séquences génomiques de la souche d’E. anophelis à l’origine de cette épidémie.
Un pathogène opportuniste au taux de mutation très élevé
L’élément majeur de surprise a été la capacité mutante hors du commun de cette lignée, un taux de mutation très élevé qui s’expliquait par l’insertion d’un élément génétique mobile au niveau d’un gène de réparation de l’ADN. Et les chercheurs émettent l’hypothèse que cette capacité mutante lui donne un avantage sélectif pour la survie dans la source infectieuse (qui demeure inconnue). La souche américaine d’E. anophelis, comme les autres, est un pathogène opportuniste : au Wisconsin, l’âge médian des personnes infectées était de plus de 70 ans, et celles qui en sont mortes avaient toutes plus de 65 ans et présentaient au moins une pathologie sérieuse sous-jacente. Cependant, alors que les autres lignées bactériennes avaient causé des infections dans des structures de soins, celle du Wisconsin a provoqué une épidémie de type communautaire.
Une espèce naturellement résistante
E. anophelis est naturellement résistante aux bêtalactamines (dont les carbapémènes) et à d’autres antibiotiques. « Ses gènes de résistance aux bêtalactamines sont présents sur un chromosome et non dans un plasmide, et il s’agit donc d’un gène ancestral », explique le Dr Brisse. « Cette antibiorésistance n’explique donc pas la virulence de la ligne du Wisconsin. » Une hypothèse, non démontrée, est écologique : cette souche est capable d’utiliser le xylose et de résister aux métaux lourds. « Elle aurait ainsi pu survivre dans un environnement très pollué », avance Sylvain Brisse.
De l’intérêt de l’open science
Dans le cas d’une épidémie, une problématique majeure de santé publique, deux intérêts s’opposent : celui des équipes générant la séquence génomique de la souche à l’origine de l’épidémie et qui souhaitent exploiter leurs données ; et celui du public et des organismes de santé publique pour lequel les informations doivent être échangées le plus vite possible entre les équipes pour permettre l’avancée de la science. « Dans ce cas particulier, nous avons choisi de partager nos informations avec le CDC d’Atlanta et avec les équipes du Wisconsin », précise le chercheur. « Cela nous a permis de déterminer que la souche existait depuis au moins un an, et d’en repérer des sous-groupes : les épidémiologistes ont ainsi pu revisiter des cas plus anciens et travailler sur ces sous-groupes. C’est un bel exemple du fait qu’en mettant la séquence à disposition tout de suite, des microbiologistes du monde entier peuvent collaborer en temps réel. »
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