Des « urgences sans médecins » en Espagne

À Madrid, les transferts de tâches dans les unités mobiles font polémique

Publié le 04/02/2022
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Ratés de communication à distance, stress, questions autour de la responsabilité légale : quand des infirmiers se retrouvent seuls au sein des unités d'urgences mobiles à Madrid, la prise en charge se complique. Cette délégation de décisions médicales aux paramédicaux pose question.

Ce 12 janvier heureusement, le médecin du centre de coordination des secours d’urgences médicales de la région de Madrid (SUMMA) n’a pas eu trop de difficultés pour contrôler la situation d’un patient avec syncope non spécifique.

Cette fois, la communication par téléphone avec l’infirmière présente dans le véhicule de secours fonctionnait bien. Et après un temps de flottement où tout semblait possible – de la syncope vasovagale au vertige inaugural transitoire lié à la maladie de Ménière – c’est un ECG effectué sur place par l’équipe de secours (l’infirmière et deux techniciens) puis transmis sans encombre au médecin qui a permis de prendre la décision la mieux adaptée : le transfert immédiat du patient à l’hôpital.

Peu fluide

« Communication par téléphone » ? « Transmission sans encombre » ? Depuis quelques mois, la prise en charge de certaines urgences s'opère sur le fil du rasoir dans la région de Madrid. De fait, la présence obligatoire d’un médecin dans les véhicules de secours n’est plus systématique depuis avril 2019. Et il arrive fréquemment que le praticien fixe par téléphone la conduite à suivre depuis le centre de coordination. Tout dépend alors de la qualité de cette communication interpro, qui peut se révéler parfois peu fluide, avec les risques médicaux que cela peut entraîner. Une situation qui pose question et a provoqué des alertes de la part des professionnels concernés.  

Comme le rappelle le Dr Manuel Lopez Ventura, 20 ans d’expérience dans ces véhicules de secours, cette évolution récente s'est appuyée en réalité sur un décret de 2012 établissant que la présence d’un médecin dans ces véhicules d'urgence est obligatoire seulement « quand l’assistance à apporter le réclame ». Mais cette formulation, qui peut paraître logique sur le papier, « n'est pas du tout claire dans la pratique », alors que le manque de médecins se fait criant.  

Des protocoles… et le terrain

Le Dr Oscar Rodriguez, médecin du SUMMA depuis 18 ans et délégué du syndicat de médecins Amyts, ne cache plus la difficulté de gérer certains recours. « Le centre de coordination des secours reçoit de très nombreux appels, par exemple un membre de la famille très angoissé par l’état de son père ou de sa mère, et il est souvent difficile dans l'échange d’identifier avec précision le malaise du patient et la gravité, explique le praticien. Dès lors, comment décider si l’assistance à apporter réclame, ou pas, la présence d’un médecin ? » In fine, la décision rapide d’envoyer telle ou telle équipe dépend davantage des ressources humaines disponibles…

La situation de tension s'est aggravée en raison du manque chronique de médecins au sein du système public de santé espagnol, une pénurie qui frappe à la fois les soins de proximité (les centres de santé publics dans les quartiers) et les services périphériques comme les urgences non hospitalières. Dans ce contexte, Cesar Cardenete, directeur adjoint des soins infirmiers d'urgences au sein du SUMMA, reconnaît la difficulté, voire l'impossibilité, de placer un médecin dans chaque véhicule où il devrait y en avoir un (26 sur les 29 véhicules de secours médicalisés) mais il se veut rassurant. « En tant que gestionnaire de ce service, nous avons fixé des protocoles de prise de décision par le personnel infirmier et, pour les cas qui le nécessitent, l’assistance d’un médecin du centre de coordination par téléphone est assurée, assure-t-il. La clé est évidemment de ne pas abuser de ces appels… »

Mais ce discours apaisant a trouvé ses limites lorsque le personnel infirmier a été obligé d'assumer des décisions risquées ou lorsque la communication devient défaillante. « Le médecin peut faire confiance à l’infirmière qui lui décrit l’état du malade, estime la Dr Eva Garcia Benavent, en poste au SUMMA. Mais cela exige que la liaison téléphonique fonctionne parfaitement et que le médecin ne soit pas lui-même sur trois appels en même temps. »

De notre correspondant Christophe Deschamps

Source : Le Quotidien du médecin