Pr de Peretti, chef du service de traumatologie (CHU de Nice) : « Cette nuit-là, nous avons opéré pour sauver des vies »

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Publié le 18/07/2016
Peretti

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Crédit photo : DR

Chef du service de traumatologie du CHU de Nice, le Pr Fernand de Peretti raconte au « Quotidien » comment les équipes médicales et paramédicales ont géré la prise en charge des victimes de l'attentat du 14 juillet. 80 patients qui souffraient pour beaucoup de fractures ouvertes ou d'écrasement ont été opérés depuis jeudi. 30 sont toujours hospitalisés dans le service.

LE QUOTIDIEN : Plus de trois jours après l'attentat de Nice, quel bilan dressez-vous ?

PR DE PERETTI : Depuis jeudi soir, nous avons opéré dans le service de traumatologie 80 victimes de l'attentat. Quatre interventions sont encore programmées aujourd'hui [lundi] au bloc et une trentaine de patients sont toujours hospitalisés dans le service. Il s'agit pour une majorité d'étrangers, dont des Américains et des Italiens. Il y a aussi quelques enfants. La prise en charge de ces patients s'est faite quasiment en temps réel, grâce à la technique du « damage control ».

Dans la nuit de jeudi à vendredi, nous ne connaissions pas l'intensité du flux de patients, il était impossible d'anticiper l'activité au bloc. En période de guerre, on emploie des techniques médicales de guerre. Cette nuit-là, nous avons donc opéré pour sauver des vies, quitte à prendre une nouvelle fois le patient en charge dans un second temps.

Dans un premier temps, on prenait 10 à 20 minutes par patient. Beaucoup souffraient de fractures ouvertes des membres inférieurs et d'écrasement, propres à la traumatologie routière. Hémostases et poses de fixateurs externes provisoires pour les fractures sont les deux opérations que nous avons pratiquées le plus vite.

Dans quel état d'esprit se trouvent les équipes du service de traumatologie ?

Ceux qui étaient à bout de nerfs le soir même font aujourd'hui leur métier avec la même énergie qu'avant. Jusqu'à dimanche matin, toutes les équipes ont travaillé non-stop. La nuit de l'attentat, au bloc ou aux urgences, les équipes médicales et paramédicales de traumatologie ont travaillé avec une célérité impressionnante, malgré un énorme afflux de patients, assez tendu jusqu'à 3 heures 30 du matin.

Les jeunes médecins ont été exemplaires. Jusqu'à ce lundi, la question du repos de sécurité n'a jamais été abordée. Elle ne se posait tout simplement pas. Ce n'est que ce matin que les jeunes praticiens se sont inquiétés auprès de moi de l'aspect médico-légal. Il n'y a eu de toute façon aucune erreur médicale à constater, notamment grâce à la visite permanente dans les services, un autre dispositif que nous avons tout de suite mis en place.

Les patients ont vu aussi leur identité "évoluer" au fil des heures. À leur arrivée, souvent inconscients, ils portaient un numéro d'identification suivi des lettres « PB » pour « plan blanc ». Nous en avons compté 302. Ensuite, on remplaçait cette première identification par un numéro d'admission. Enfin, les patients étaient identifiés par leurs noms. Une surveillance constante a permis d'éviter les erreurs de diagnostic.

Malgré tout, j'ai vu des anesthésistes et des chirurgiens pleurer à cause de la fatigue mais surtout parce qu'ils se sont retrouvés dans des situations psychologiques inhabituelles. Beaucoup de patients réclamaient leur conjoint, leurs enfants.

Je me suis occupée d'une dame de 60 ans. Polytraumatisée, elle souffrait le martyre. Nous l'avons sédatée très rapidement, mais tout le temps où elle a été consciente, elle nous demandait en boucle : « Où est ma petite fille ? ». Je ne pouvais que lui répondre : « Ne vous en faites pas, nous sommes en train de vous sauver la vie. » Elle a été transférée à Marseille pour des soins de circulation extracorporelle. Son état est des plus précaires. J'aurai cette patiente en mémoire toute ma vie.

Et maintenant ? Comment voyez-vous l'avenir ?

Les choses rentrent petit à petit dans l'ordre. On devrait vivre à peu près normalement à partir de demain. Les patients, eux, entrent dans une seconde phase chirurgicale qui va durer plusieurs semaines, celle des opérations définitives.

Pour ceux souffrant de fractures, les clous ont remplacé les fixateurs externes provisoires dès le lendemain de l'attentat. Désormais, les plasticiens travaillent à la composition de lambeaux de couverture cutanée pour les greffes. Ensuite, nous entrerons dans une période de reconstruction, puis de surveillance d'éventuelles infections. C'est un projet thérapeutique d'un an qui attend certains patients.

Côté chirurgiens, nous allons essayer dès cette semaine d'améliorer notre utilisation du plan blanc. Vu la spontanéité avec laquelle les praticiens se sont rendus disponibles, il n'y a rien à améliorer de ce côté-là. L'ensemble du corps médical s'est déplacé au CHU sans attendre une convocation ou un coup de téléphone de la part de l'établissement. Il y a par contre peut-être quelque chose à faire en termes de traçabilité des patients.

Propos recueillis par Anne Bayle-Iniguez

Source : lequotidiendumedecin.fr