C'est l'épilogue d'une longue instruction de huit ans. L'Autorité française de la concurrence vient de condamner trois laboratoires pharmaceutiques, Novartis, Roche et Genentech, à payer une amende record de plus de 444 millions d'euros pour des « pratiques abusives » visant à préserver les ventes du Lucentis. Ce médicament est largement prescrit en ophtalmologie, notamment dans le traitement contre la dégénérescence maculaire (DMLA), au détriment d'un autre, l'Avastin, une spécialité concurrente, trente fois moins chère.
Développé par l'américain Genentech – filiale américaine de Roche – et commercialisé hors des États-Unis par le suisse Novartis, le Lucentis coûte 1 161 euros par injection contre 30 à 40 euros pour l'Avastin, également produit par Genentech mais exporté en Europe par Roche.
Discours alarmistes sur l'Avastin
L’Autorité de la concurrence dénonce une stratégie « structurée et massive » des trois géants pharmaceutiques visant à dissuader les médecins de prescrire l'Avastin. Selon l'arbitre de la concurrence en France, le laboratoire Novartis a fait une « cartographie complète » pour classer les pratiques de médecins. Il faisait un suivi « très pointu » et « personnalisé » des consommations de l'Avastin pour chacun des prescripteurs à l'hôpital et en centres de référence. « Les médecins qui voyaient d'un mauvais œil des discours alarmistes vis-à-vis d'Avastin étaient qualifiés d'Avastin lovers, et ciblés par un discours très défini, par des visites », a souligné Mme de Silva.
« Le laboratoire a essayé de trouver les plus grands spécialistes pour les dissuader de prescrire l'Avastin en présentant de façon biaisée et exagérée des risques sanitaires à utiliser ce médicament », a-t-elle ajouté. Pour inquiéter les prescripteurs, le laboratoire a utilisé l'affaire du Mediator pour rappeler les risques encourus en cas de prescription hors AMM. « Après l'affaire du Mediator, les autorités de santé, les médecins, les laboratoires étaient très vigilants sur le hors AMM et cela nous paraît légitime […]. En revanche, là où les pratiques ne sont pas acceptables, c'est que les laboratoires essaient de tromper les parties prenantes dans l'utilisation d'un médicament qui était positif pour les patients », a justifié la présidente de l'Autorité de la concurrence.
Les mêmes agissements ont été constatés auprès des pouvoirs publics français. Roche a refusé durant des mois de fournir des échantillons de l'Avastin à l'Autorité nationale de sécurité du médicament (ANSM), retardant la mise en place d'une étude (GEFAL) visant à examiner son utilisation face à celle de Lucentis, pointe l'Autorité. Le laboratoire a également sélectionné certains résultats des études de comparaison et les a présentés en dehors de leur contexte, contribuant ainsi à l'interdiction par la direction générale de la santé de l'utilisation de l'Avastin hors AMM en 2012.
Une stratégie payante
« Ces pratiques graves ont pesé sur les comptes sociaux », a enfin relevé la présidente de l'Autorité, avec « un impact en dizaines et centaines de millions d'euros », le Lucentis étant remboursé à 100 % par la Sécurité sociale. Dans ces conditions, « il n'est pas exclu que l'État souhaite intenter une action indemnitaire », a-t-elle souligné.
Le laboratoire Novartis a réfuté fermement les accusations de l'Autorité et a annoncé son intention de faire appel. De son côté, Roche s'est dit « déçu » de la décision. La DMLA est la principale cause de malvoyance des adultes de plus de 50 ans et touche 8 % de la population, selon l'INSERM. Un million de Français sont concernés par cette pathologie.
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