La santé dans tous ses états

Test, masques, isolement, réa saturée... On s'habitue à tout ?

Publié le 05/02/2021
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Vertiges des chiffres et des prédictions inquiétantes. Depuis un an, au fil des vagues successives de Covid, on s'est accoutumé à l'augmentation exponentielle des cas. Mais l'observation fine du processus a permis de mieux prévoir et d'anticiper. Un atout maître dans la lutte contre la pandémie.

Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

C’est lundi. Depuis des semaines le nombre de lits de médecine accueillant des patients malades de la Covid a de nouveau augmenté. Le fameux « ajustement du capacitaire », où comment un terme bien technique atténue la réalité de la reprise épidémique. Depuis des jours on a franchi l’étiage des 3 000 lits de réanimation occupés par des patients sous haut débit d’oxygène ou pire, intubés-ventilés. Ce n’est après tout que 50 % du capacitaire de réanimation de tout le territoire… mais dévolus à une seule maladie.

Depuis des mois, chaque jour meurent plus de 300 personnes fauchées par la même infection. Mais finalement, la mortalité en France n’a augmenté « que » de 9 % en 2020… Du jamais vu depuis des décennies, mais « que peut-on y faire, 76 000 décès en 10 mois, est-ce vraiment beaucoup plus que la grippe ? Et ne seraient-ils pas morts quelques mois plus tard de toute façon ? »

Depuis la semaine dernière, nous réévaluons avec la Caisse Nationale d’Assurance Maladie les dossiers des personnes décédées de la Covid pour établir la présomption de contamination sur leur lieu de travail. Toutes ont 47 ans, 52 ans, 63 ans, toutes travaillaient, qui caissière, qui agent de maîtrise à Roissy, qui ambulancier. Toutes et tous avaient « des ayants-droit », là aussi un terme bien technique qui recouvre la réalité d’une famille, et d’enfants encore scolarisés parfois. Mais pourtant, il se dit que l’âge moyen de décès de la Covid en France est de 80 ans.

Depuis presqu’un an maintenant, se discute de confiner ceux d’entre nous les plus à risque de mourir pour « laisser les autres vivre normalement » : les plus à risque car dits « vieux », gros, hypertendus, diabétiques, immunodéprimés, insuffisants rénaux, cardiaques, respiratoires. Pourtant, avec un virus qui courrait librement de jeunes de 20 ans en jeunes de 30 ans, l’augmentation exponentielle des cas ferait que statistiquement, nombre de personnes dites « jeunes » seraient fauchées par l’accident du hasard génétique : la mutation au mauvais endroit sur le gène de l’interféron, l’embolie pulmonaire inattendue quand on a 15 ans, la copie du Kawasaki chez cet enfant de 5 ans.

Depuis l’été et la promulgation de la triade dépister/tracer/isoler, on essaie de dépister, on tente de tracer et on échoue souvent à isoler : 141 439 cas positifs la semaine dernière, combien d’entre eux ont été isolés au moins 7 jours, combien ont été appelés pour tracer leurs contacts et combien ont vu ces contacts isolés et dépistés ? Mais après tout, tant que ces cas positifs ne deviennent pas des malades qui saturent les hôpitaux…

Vivre avec le danger

En fait, on s’habitue. On s’habitue à vivre avec des chiffres qui nous affolaient il y a 6 mois, et qui font suggérer maintenant qu’il n’y a pas péril en la demeure. On s’habitue à entendre dire que l’enfermement d’une partie de la population serait une solution à la crise économique et sociétale. On s’habitue à voir des réanimations saturées, des patients sous 8 litres d’oxygène pris en charge en salle de médecine sans surveillance continue, des personnes de 30 ans en rééducation cardio-respiratoire pour Covid « long ». On s’habitue à faire des tests pour partir en vacances, pour partir voir sa famille, on en fait dans la rue, chez le pharmacien, dans le gymnase du coin. On s’habitue à porter le masque, à le baisser sous le nez pour respirer, à le pousser pour éternuer dans son bras, à ne pas le changer au moins 4 fois par jour, et finalement à l’enlever chez ses amis, parce que le risque, franchement, entre nous…

On s’habitue même à voir presque chaque jour naître sur les cendres de l’hydroxychloroquine d’autres remèdes miracles, vitamine D, colchicine, ivermectine… et parce qu’on se dit « pourquoi pas », on n’a pas l’esprit critique aussi critique qu’il le faudrait. Bref, on s’habitue à vivre avec le danger. Et on oublie que jusqu’à maintenant, on a toujours couru derrière le virus, qu’à aucun moment on n’a réussi à avoir une longueur d’avance.

Pourtant nos connaissances se sont énormément améliorées, l’observation fine depuis presqu’un an du processus épidémique a permis de modéliser son évolution avec une marge d’erreur très faible, et là où avant on subissait, maintenant on peut prédire. Et qui dit pouvoir de prédire dit pouvoir d’action pour infléchir la prédiction quand ce qui est prédit est catastrophique. En mars 2020, le confinement une semaine plus tôt aurait permis de sauver 13 000 vies ; une semaine plus tard, on aurait eu plus de 30 000 personnes en réanimation. En janvier 2021, les prédictions pour mars sont tout aussi sombres, mais on s’est habitué à croire que faire un pari c’est être audacieux : que l’audace c’est d’avancer au bord du précipice puis y rester en équilibre. En prenant le pari de ne pas confiner, nous verrons rapidement si cet équilibre est vraiment aussi stable que l’audace le voudrait.

Pr Karine Lacombe

Source : Le Quotidien du médecin