Genre et addiction

Un guide pour vaincre la double stigmatisation

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Publié le 09/03/2017
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Crédit photo : SEBASTIEN TOUBON

Comme tous les jours depuis 1995, l'Espace Femmes situé Porte de la Chapelle, à Paris accueille 15 à 20 consommatrices de drogues. Avec une file active de 170 femmes dont 81 subissant des violences, l'établissement a reçu 4 560 passages en 2014.

« Nous avons beaucoup de femmes polyconsommatrices de crack, d'alcool et de benzodiazépine, » détaille Bénédicte Bertin, qui coordonne l'Espace.

C'est dans ce lieu tout sauf anodin que la Fédération addiction a présenté son guide Femmes et Addiction destiné aux professionnels de santé des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA) et des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues (CAARUD).

Le guide comporte 15 fiches thématiques, émaillées de 6 interviews. « Nous sommes au milieu du guet », constate Odile Vitte, une des auteures et directrice du CSAPA APS Contact, qui a pu constater, chez les professionnels de santé, une certaine réticence face à la vision genrée de la prise en charge de l'addiction. « Nous avons posé un premier constat, nous allons maintenant commencer un travail de sensibilisation », renchérit Cécile Bettendorff, chargée de projet de la Fédération Addiction.

Privée de féminité

Globalement moins nombreuses que les hommes, elles sont aussi plus stigmatisées. La consommation de drogues est en effet considérée comme antinomique de la féminité traditionnelle. Le guide incite les praticiens à réaliser un état des lieux des situations rencontrées par le centre, à travailler les représentations de genre et à favoriser l'accès des femmes à l'accompagnement. Ce dernier point peut passer par la mise en place de structures spécifiques ou par l’ouverture de plages horaires dédiées aux femmes.

Une séparation qui apparaît nécessaire. « Les consommatrices de drogues sont confrontées à un environnement masculin très violent, argumente-t-elle, souligne Bénédicte Bertin. Elles sont parfois en couple avec un consommateur qui leur dispute les produits. Comme elles ne peuvent voir directement leur dealer, elles font appel à un intermédiaire, encore un homme, qui va prendre sa commission. Si elle se prostitue, il y a aussi la pression du proxénète et des clients. Elles ont besoin d'un espace à elle, pour se doucher, laver du linge ou se reposer. »

Les femmes consommatrices de drogues sont en outre confrontées à des problèmes de santé sexuelle et d'accompagnement du projet d'enfant et de la grossesse : beaucoup de grossesses sont découvertes tardivement, car la consommation de substances psychoactive a pour conséquence de maintenir le corps en état d'aménorrhée.

Entre 2009 et 2010, un appel à projet de la Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (la MILDT aujourd'hui MILDECA) a permis l'ouverture de quelques structures d'accueil dédiées aux femmes consommatrices de drogue. Certaines structures ont perduré mais à budget constant. « Certaines choses ont évolué, concède Odile Vitte. Les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ont commencé à accepter les femmes consommatrices de drogue, ce qu'il ne faisait pas il y a encore quelque temps. »

Selon les données de l'observatoire des drogues et des toxicomanies (OFDT), 15 % des femmes prises en charge dans un CSAPA pour une consommation d'opiacés, de stimulants ou de psychotropes vivent seules avec un enfant. Par ailleurs, 31 % ont un antécédent d'hospitalisation psychiatrique, contre 24 % des hommes, et 30 % ont un antécédent de tentative de suicide, contre 17 % des hommes.

Damien Coulomb

Source : Le Quotidien du médecin: 9562