Faut-il revenir sur les fondamentaux physiopathologiques de la maladie d'Alzheimer pour espérer trouver enfin un traitement ? C'est ce que suggère l'équipe des Drs Tharick Pascoal et Pedro Rosa-Neto de l'université de Pittsburgh aux États-Unis dans « Nature Medicine ». L'activation de la microglie, cette première ligne de défense immunitaire dans le système nerveux central, ne serait pas qu'un simple épiphénomène inflammatoire d'aval dans la progression de la maladie neurodégénérative. La neuro-inflammation en conditionnerait le développement.
« Nous montrons que la neuro-inflammation est responsable de façon importante de la maladie d'Alzheimer, conduisant à la tauopathie et à la démence, plutôt qu'un simple processus d'aval entraîné par les dépôts amyloïdes et de protéines tau », explique pour « Le Quotidien » Tharick Pascoal, premier auteur de l'étude.
Grâce à une formidable analyse à l'aide de l'imagerie par tomographie par émission de positrons (TEP), les chercheurs ont réussi à mettre en évidence in vivo chez l'homme que l'activation de la microglie entraîne la diffusion dans le cerveau des fibrilles de protéine tau, ce qui avait été décrit en culture cellulaire et chez l'animal.
L'équipe a inclus 130 patients d'âge différent et à des stades différents de la maladie : 22 jeunes sans trouble cognitif (âge moyen de 23 ans), 64 sujets âgés sans trouble cognitif (âge moyen de 72 ans), 28 avec trouble cognitif léger (âge moyen de 73 ans) et 16 ayant une démence Alzheimer (âge moyen de 70 ans).
Un TEP comme reflet de la neuro-inflammation
Pour ce travail, les chercheurs ont fait appel à l'imagerie TEP avec trois traceurs différents pour évaluer à la fois l'activation microgiale, les dépôts bêta amyloïdes et la pathologie tau. Pour l'activation microgliale, c'est le traceur [11C]PBR28 qui a été utilisé. « Le plus gros challenge a été relevé par les participants, souligne Tharick Pascoal. Parce que passer trois TEP scans cérébraux différents dans une courte période peut être une grosse charge. Nous remercions tous les participants et leur famille pour avoir rendu ces résultats possibles ».
L'équipe a d'abord observé que la neuro-inflammation était plus fréquente chez les sujets âgés et qu'elle était encore plus marquée chez les patients avec un trouble cognitif léger et chez ceux ayant une démence. Les scientifiques ne se sont pas arrêtés là et ont également mesuré les concentrations dans le liquide céphalo-rachidien (LCR) d'un marqueur de l'activation de la microglie appelé TREM2 (pour Triggering Receptor Expressed on Myeloid Cells 2) ainsi que de 55 autres protéines de l'inflammation.
Les chercheurs ont d'abord validé le traceur [11C]PBR28 comme reflet de l'activation microgliale. « Nous avons trouvé que le [11C]PBR28 était corrélé au TREM2 soluble dans le LCR », écrivent les auteurs. Le taux de TREM2 dans le LCR était « hautement associé à la pathologie tau, à l'atrophie, à la pathologie vasculaire de la matière blanche et au trouble cognitif », est-il ajouté. À noter que d'autres protéines étaient aussi associées à la recapture du traceur, confortant le traceur en tant que reflet de l'inflammation cérébrale (mais aussi suggérant la possibilité que d'autres voies de l'inflammation sont associées plus fortement au traceur que ne l'est TREM2). De plus, à l'aide d'une analyse complémentaire post-mortem chez six individus, les scientifiques ont observé que l'expression ARN de TREM2 dans les régions cérébrales était associée à la distribution régionale de la recapture du traceur dans une population comparable de l'étude.
Une interaction synergique
Une analyse bioinformatique a confirmé que l'activation microgliale et la propagation de tau étaient corrélées de façon hiérarchique entre elles suivant des stades proches de ceux de Braak, cette classification selon la progression topographique lésionnelle. De plus, il est apparu que « les voies longitudinales de la propagation de tau dépendaient du réseau de base de la microglie plutôt que des circuits en réseau de tau », est-il décrit. Enfin, les auteurs rapportent que la co-occurence d'anomalies bêta, tau et de la microglie était le marqueur prédictif le plus fort de trouble cognitif chez les participants. « Nos résultats sont en faveur d'un modèle où l'interaction entre les dépôts bêta amyloïdes et la microglie activée donne le rythme à la propagation de tau à travers les stades de Braak », concluent-ils.
« Beaucoup de personnes âgées ont des plaques amyloïdes dans le cerveau mais ne progressent jamais vers le développement d'une maladie d'Alzheimer, explique Tharick Pascoal. Nous savons que l'accumulation d'amyloïde à elle seule n'est pas suffisante pour causer une démence. Nos résultats suggèrent que c'est l'interaction entre la neuro-inflammation et la pathologie amyloïde qui débride la propagation de tau et au final conduit à des dégâts cérébraux étendus et aux troubles cognitifs ». L'équipe poursuit ses travaux afin d'élucider comment les trois composants − tau, bêta amyloïde et activation microgliale − interagissent dans le temps et conduisent à la démence.
Début juin, le régulateur américain a autorisé l'anti-amyloïde aducanumab (Aduhelm) malgré les réserves du comité d'experts scientifiques qui avait estimé insuffisantes les preuves d'efficacité. Une décision inédite qui a entraîné une vive polémique et la démission du comité. « Le besoin de traitement est urgent », avait justifié la Food and Drug Administration rappelant l'absence de médicament depuis 2003. Pour les auteurs, leurs résultats suggèrent d'évaluer de nouvelles stratégies thérapeutiques. « Les essais cliniques conçus pour tester la combinaison de thérapie anti-amyloïde avec une thérapie anti-inflammatoire dans les stades précoces de la maladie d'Alzheimer − quand le dépôt de protéine tau commence dans le cerveau − ont le potentiel de présenter des résultats optimaux », avance Tharick Pascoal.
Pascoal T.A. et al, Nature Medicine, 26 août 2021. doi.org/10.1038/s41591-021-01456-w
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