Couacs de communication lors de la crise sanitaire : le CNRS rappelle les chercheurs à leurs droits et devoirs

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Publié le 24/09/2021

Crédit photo : Phanie

Informer encore et toujours, et participer à élever le niveau scientifique des citoyens et décideurs politiques : tel est en substance le message qu'adresse aux chercheurs le comité d'éthique (Comets) du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) dans un avis consacré à la communication en situation de crise sanitaire.

Près de deux ans après le surgissement du Covid-19, le Comets dresse le bilan de la communication scientifique, marquée par une grande profusion par la force de la Science ouverte, mais aussi par des dérives inquiétantes, alimentant un « populisme scientifique où l'opinion l’emporte sur le fait », où sévit « l'illusion de pouvoir accéder au savoir sans passer par les instances de validation du fait scientifique ».

De l'intégrité au sein du monde scientifique

Si le Comets loue l'émulation sans précédent autour du Covid-19, il n'est pas tendre avec ceux qui se sont rendus coupables d'entorses à l'intégrité, à la déontologie et à l'éthique de la science. Le comité insiste sur la responsabilité du chercheur « en particulier lorsque l'impact de travaux publiés dépasse la communauté scientifique pour conduire à des décisions politiques prises dans l'urgence et ayant des retombées directes sur la santé des citoyens ». Il cible le cas de l'affaire Surgisphère marquée par le retrait de deux études, l'une dans le « Lancet » et l'autre dans le « New England Journal of Medicine », qui mettaient en cause l'usage de l'hydroxychloroquine (HCQ), sur la base de données primaires erronées. Mais aussi le Pr Didier Raoult. Son étude sur l'hydroxycholoquine à la méthodologie peu rigoureuse a suscité une adhésion du public forte et difficile à endiguer, mais il a surtout été l'auteur d'une plainte (et de menaces sur les réseaux sociaux) à l'égard de deux autres scientifiques qui s'interrogeaient sur son travail.

« Le soutien sans partage d'une partie de la population au traitement à l'HCQ préconisé par Didier Raoult revêt certains traits du populisme scientifique » : méfiance à l'égard des autorités qui n'ont pas toujours des réponses immédiates, préférence pour les solutions simples, défiance à l'égard des élites, fascination exercée par une personnalité tonitruante, etc. Et de regretter que des responsables politiques, comme Philippe Douste-Blazy, aient pu lancer une pétition pour demander au gouvernement d'ouvrir l'accès à l'HCQ…

À quel titre s'exprime-t-on

Le Comets émet plusieurs recommandations, élaborées en réponse à la crise du Covid, mais de portée plus générale, visant à promouvoir la culture scientifique, « grand enjeu de la démocratie ».

Il rappelle notamment les droits et devoirs des chercheurs qui interviennent dans l'espace public. À commencer par l'importance de préciser à quel titre l'on prend la parole : en tant que spécialiste d'un sujet, représentant d'une structure ou citoyen engagé, voire militant.

Puis le chercheur doit faire la distinction entre ce qui relève de connaissances validées par des méthodes scientifiques de ce qui relève d'hypothèses de travail. « Il convient de signaler les marges d'incertitude des résultats de la recherche », lit-on.

Dialoguer avec les médias

S'il critique les médias rapides qui privilégient la science spectacle, le comité d'éthique veut quand même promouvoir les échanges entre scientifiques et journalistes, notamment scientifiques, en favorisant la connaissance mutuelle de leur travail (et de leurs contraintes) et en encourageant les premiers à se former à la médiation scientifique et à répondre aux médias. En revanche, il se montre réservé sur la proposition d'une maison des sciences et des médias, (prévue dans la loi de programmation pluriannuelle de la recherche) et appelle à la « vigilance, pour éviter tout formatage de l'information et toute pression de lobbies ».

En matière de dialogue avec les autorités politiques, le Comets souligne la difficulté de l'exercice, surtout lorsque les connaissances sont en train d'évoluer et que le scientifique ne peut apporter de réponse tranchée. « Pour que la parole du scientifique puisse faire autorité auprès des politiques, il est essentiel que ces derniers soient mieux formés au raisonnement et à la démarche scientifique », considèrent les experts.

Enfin, le Comets promeut la « science ouverte » et rappelle aux chercheurs l'importance de rendre accessibles leurs données. Quant aux dérives de publications trop rapides, il propose pour les endiguer de ne pas prendre en compte dans l'évaluation, les articles publiés dans des revues prédatrices, et de généraliser l'accès aux commentaires des relecteurs pour tous les processus éditoriaux.


Source : lequotidiendumedecin.fr