LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Le débat public sur les nanotechnologies est organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP) à la demande de plusieurs ministères. Pourquoi ?
JEAN BERGOUGNOUX - Il y a eu Tchernobyl, le sang contaminé, l’amiante, les OGM et maintenant les téléphones portables. L’État ne veut plus que les Français puissent dire qu’il prend des décisions sans tenir compte de leur avis. Les nanotechnologies sont un sujet d’avenir. Pour certains, c’est même la quatrième révolution industrielle. Or, aujourd’hui seuls quelques pour cents de la population française savent dire ce que sont des nanotechnologies. Ces technologies sont déjà présentes dans nos vies, mais leur potentiel de développement est encore énorme, jusqu’à cinq fois plus d’applications en dix ans. En même temps, les nanotechnologies peuvent comporter des risques encore difficiles à évaluer et posent des questions nouvelles, notamment éthiques. Dans ce contexte, le débat a été décidé afin que la société s’impose un temps de réflexion avant d’aller plus loin. L’État a demandé à la CNDP de l’organiser, lui garantissant ainsi indépendance et équilibre et assurant que la parole sera donnée à tous.
Comment vous allez-vous y prendre ?
Déjà, en mobilisant les personnes physiquement. Entre octobre et février, 17 villes accueilleront 17 débats sur différents aspects des nanotechnologies. Un site Internet riche et interactif complète et approfondit ces réunions publiques, donnant aux Français la possibilité de s’informer, de suivre les débats et de s’exprimer.
Un peu plus de 2 millions d’euros. Plus les « avantages en nature », impressions, logement…, que fournissent certains ministères.
Quel succès prédisez-vous à ce débat ?
Notre souhait, très ambitieux, est d’attirer aux réunions publiques entre 10 000 et 15 000 personnes. Bien sûr, on en vise beaucoup plus sur Internet. À en juger d’après ce qui se passe depuis le lancement du site fin septembre, il y a de l’intérêt pour le sujet, le site est objet d’un certain « buzz ».
Concrètement, comment se passera le débat ?
On part toujours de ce qui se passe localement, puis on ouvre le sujet sur des perspectives plus larges. Par exemple, à Toulouse, il y a de l’industrie aéronautique et pharmaceutique. Le débat qui s’y est déroulé le 20 octobre, après un film d’introduction, a d’abord évoqué des nanomatériaux et leurs usages en aéronautique, puis des applications médicales des nanotechnologies, pour finir par le cycle de vie de ces produits et les aspects environnementaux. En suivant la même logique, le 1 er décembre, à Grenoble, il sera question de l’informatique et, une fois encore, de nanomédecine, puis par extension on s’intéressera aux libertés individuelles.
N’y a-t-il pas danger de donner trop la parole aux spécialistes qui travaillent avec les nano, des « pro-nano » ?
On fait tout pour que cela ne soit pas le cas. Déjà par le choix des membres de la Commission qui pilote ce débat. Elle compte un historien des sciences, théologien, un ingénieur, une agronome, élue locale, une biologiste, romancière, une agrégée de sciences naturelles et l’ancien président d’une association pour la protection de la nature et de l’environnement. Nous avons aussi convié des associations que les nanotechnologies préoccupent. France Nature Environnement, Attac et Amis de la Terre y participent ainsi. Certaines ont refusé arguant que « Participer, c’est déjà accepter ». C’est dommage, mais c’est leur liberté ! Des formations politiques actives sur le sujet sont aussi bienvenues.
En fin de compte, quel rôle jouera ce débat ?
Un débat public n’est pas un vote. Il ne s’agit pas de conclure : « Tant de Français souhaitent telle chose ». La Commission recueillir tous les arguments et avis échangés, qu’elle éditera dans un rapport deux mois après le débat. Les ministères auront ensuite trois mois pour décider quelles suites ils entendent donner au débat : travaux parlementaires débouchant sur des dispositions législatives, mesures réglementaires, orientations en matière de recherche publique… (décision attendue cet été, si le calendrier du débat n’est pas perturbé par la grippe, NDLR)
UN POTENTIEL DE DÉVELOPPEMENT ÉNORME ET DES RISQUES MAL ÉVALUÉS
Vous avez préparé le débat avec un « groupe miroir », 20 personnes représentatives de la population générale. Que fait préjuger cette préparation ? Quels sujets seront les plus sensibles ?
Il y a déjà l’alimentation. Là-dessus les avis semblent clairs et convergents : tant que l’innocuité des nanoparticules manufacturées n’est pas démontrée, les Français n’en voudront pas dans leurs assiettes. La cosmétologie retient aussi l’attention, mais dans ce domaine, les gens comparent quand même l’utilité au risque.
Qu’en est-il de la médecine ?
C’est un sujet très sensible, avec des questions variées : la protection des travailleurs, l’usage des nanoparticules comme médicaments, pour soigner ou encore pour faciliter le remplacement des parties défaillantes de l’organisme. C’est sûrement le domaine qui soulève le plus de questions éthiques, car les nanotechnologies auraient le potentiel de nous mener vers un homme amélioré ou modifié ! Enfin, la question de la fin de vie des produits est aussi soulevée. Exemple : des produits enrichis en nanoparticules à des fins bactéricides jetés sans précautions peuvent nuire à l’environnement.
À votre avis, que sortira-t-il de ce débat ?
Le débat sera certainement riche et complexe. D’abord car le champ à couvrir est vaste, mais aussi parce que l’un des concepts clé de ce débat, le principe de précaution, a des significations différentes selon les personnes. À titre personnel je pense que les lignes de force qui se dégageront tourneront autour de la prudence et des applications bénéfiques. Je ne serai pas étonné si des demandes de moratoires étaient souvent évoquées pour certaines applications.
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