La contre-attaque est lancée sur tous les fronts. Agnès Buzyn, confrontée au déferlement des anti-vaccins, donnait le ton avec un vocabulaire militaire lors de ses vœux à l’Ordre. « La bataille contre les fake news est essentielle pour la santé publique », martelait la ministre de la Santé, mobilisant les médecins pour qu’ils se fassent les « ambassadeurs de la science et du rationnel qui perd du terrain dans nos sociétés face à l’obscurantisme. » Perte de terrain, l’expression est faible. L’expert de la communication Jean-Noël Kapférer parle carrément d’une « explosion nucléaire en chaîne ».
Face au terrain médical perdu, au terrain scientifique atomisé, l’heure est donc venue de livrer bataille. Ce sont les médias, souvent directement impliqués, qui ont sonné le tocsin cet été. Sous le titre « Fake science », une vingtaine de quotidiens internationaux parmi lesquels la Norddeustcher Rundfunk, Süddeutsche Zeitung, The New Yorker, l’Aftenposten et, en France, Le Monde, dénoncent un fléau qui a investi les publications scientifiques. Ils ont listé quelque 10 00 revues dites « prédatrices » qui contribuent à construire une science « parallèle », pour tromper les administrations publiques et jusqu’aux institutions scientifiques.
Ces « pousse-au-crime » rejoignent à l’occasion les croisades antivaccinales et climatosceptiques pour entraîner, à leur rescousse, les médias grand public. 2 à 3 % de la base de données de références PubMed serait contaminé, six fois plus qu’il y a cinq ans. Cela semble peu, mais c’est bien plus invasif sur les grands moteurs de recherche tel Google. La part occupée par la fake science dans la production scientifique mondiale altère de manière considérable la crédibilité des experts. « Il faut une prise de conscience mondiale », pour lutter contre le phénomène, alertent conjointement les médias associés dans cette campagne.
Au CNRS, le Comité d’éthique COMETS, a dénoncé dès 2015 les comportements inappropriés préjudiciables à la science, élaborant un guide de bonnes pratiques et une charte déontologique de l’évaluation scientifique ; au printemps dernier, ses chercheurs en sciences dures et en sciences humaines et sociales se sont réunis à l’Assemblée nationale pour envisager les réactions contre ce phénomène qui les défie et ébranle le statut de la vérité scientifique elle-même. Un phénomène qui « donne aux rumeurs sans aucun contenu véridique la forme de nouvelles officielles », comme le note Emeric Henry. Les réseaux sociaux, observent les chercheurs du CNRS, ont conféré une amplification industrielle aux rumeurs qui, depuis la nuit des temps, ont toujours circulé.
Publicheurs et McDonaldisation de la science
Au même moment, dans sa revue La Vie de la recherche scientifique, le syndicat national des chercheurs scientifiques consacre un dossier de 34 pages à ceux qu’elle baptise les « publicheurs », épinglant la McDonaldisation de la science, les mésusages des publications, les dérives liées au non-respect de l’intégrité scientifique dans l’ère de l’open science, se prévalant de la notion fallacieuse de bibliodiversité (numéro 412 du 15 mai).
La France fait partie des pays les plus touchés, parmi les vingt premiers contributeurs des revues douteuses. « Les fausses nouvelles sont très facilement accessibles », constatait la ministre de la recherche Frédérique Vidal, en lançant le 4 juillet son Plan national Science ouverte. « La bibliothèque brûle », n’hésite-t-elle pas à déclarer. Le contre-feu prioritaire vise à généraliser l’accès ouvert aux publications à comités de lecture, avec obligation de diffusion gratuite pour les articles issus de recherches financées sur fonds publics, comme l’avait annoncé Emmanuel Macron dans son discours sur l’Intelligence artificielle (29 mars).
Si fake news et fake science surfent sur la révolution numérique, il faut faire de celle – ci « une opportunité pour transformer en profondeur les démocraties, les rendre plus efficaces, responsables et participatives », préconise le président de la République. Contre les pratiques discutables et les fraudes, Frédérique Vidal prêche pour « un écosystème à la fois résilient, régulé et transparent, oeuvrant dans le sens des intérêts de la communauté scientifique ». Et elle ne le cache pas, cela représente « un changement culturel profond, à la fois pour les institutions, mais aussi et surtout pour les chercheurs. »
« Esprit critique es-tu là ? »
Chercheurs et médias sont en première ligne dans la manœuvre. Mais le grand public est aussi visé. C’est ainsi que la 27e fête de la science, qui se tiendra du 6 au 14 octobre, mettra l’accent sur la lutte contre les idées reçues et les fausses informations. « Face à la montée du climatoscepticisme, à la contestation de certains faits scientifiques (débat sur les vaccins…), à la persistance de certains préjugés (les garçons sont meilleurs en sciences), au développement des fausses nouvelles, la Fête s’empare de la thématique des idées reçues », annonce Jean-Michel Blanquer, le ministre de l’Education nationale.
« Esprit critique, es-tu là ? », interroge le titre de Sciencetips, un vulgarisateur scientifique qui propose un parcours numérique en 8 leçons de moins de 8 minutes par jour. Une web-série opposera les données objectives aux rumeurs, fausses nouvelles, sur des sujets comme le sida. « Il faut permettre aux jeunes d’exercer pleinement et réellement leur esprit critique », insiste Frédérique Vidal. « Ontemanipule.fr », le site du gouvernement contre les manipulations pseudo-scientifiques, prévient les ados.
Mobilisation contre la Fake public health
La mobilisation est mondiale. L’OMS fait face à la Fake public health. « Avec les épidémies d’Ebola ou, en 2017, la peste à Madagascar, nous devons désormais traiter les infodémies et intervenir, non seulement sur le plan sanitaire et médical, mais aussi batailler sur le terrain de la communication, selon des données sociologiques et ethnologiques, explique au Quotidien Sylvie Briand, directeur du département OMS gestion des urgences sanitaires. Nous avons lancé le programme Get Social pour former nos équipes d’interventions aux perceptions et croyances des populations. Il s’agit d’identifier les comportements à risque et de casser les chaînes de transmission virales, plus seulement médicales, mais de plus en plus sociales ». L’explosion des fake news sur les réseaux sociaux provoque en effet des paniques et intensifie les flambées épidémiques partout où elles sévissent. Avec des effets parfois pires que ceux créés par l’épidémie elle-même.
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation