Frydman loue l’esprit d’ouverture de « Bob Edwards »

Publié le 06/10/2010
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- L’esprit d’ouverture

« Je suis tellement content pour « Bob Edwards ». Ça me fait vraiment plaisir pour l’homme, que je connais bien et que j’ai bien connu. Il représente, pour moi, le grand scientifique avec l’esprit d’ouverture, d’interrogation et surtout, une pugnacité. Il faut se rendre compte que c’est en 1963 qu’il réussit, comme d’ailleurs Charles Thibault en France, la fécondation in vitro chez la lapine. Puis, à partir de 1965, il va vouloir l’appliquer chez l’homme et ne va y arriver qu’en 1978 : ce sont treize ans de solitude pendant lesquels Patrick Steptoe prélevait des ovocytes à 100 km de Bourn Hall (Bourn Hall Clinic est le premier centre mondial de fécondation in vitro, ndlr) qu’il fallait ensuite apporter au laboratoire. C’était tout à fait épique. C’est quelqu’un qui a toujours eu une ouverture d’esprit sur tout ce qui allait se passer, il pressentait le développement des cellules souches, de la maturation in vitro, des problèmes masculins. C’est un grand visionnaire qui travaillait en équipe. 

- La reconnaissance

J’avais travaillé sur la fécondation in vitro avant la naissance de Louise Brown, en 1977, notamment grâce à son soutien : c’est pour cela que j’ai une infinie reconnaissance envers lui. J’avais vu Bob Edwards parce que j’essayais d’aborder la qualité de l’ovocyte. Après la naissance de Louise Brown, deux ans se sont passés avant la naissance du deuxième enfant, en 1980. Nous, nous devions mettre en place le matériel, les hommes : c’est à ce moment-là que j’ai travaillé avec Jacques Testard. Il fallait un peu de temps pour s’y mettre complètement. Bob Edwards a tout le temps cherché à diffuser ce qu’il savait. Il a créé la Société européenne de reproduction et d’embryologie humaine (en 1985) et le journal « Human Reproduction », qui permet d’échanger. Il a toujours aidé et soutenu les innovations.

- La polémique

Il reste toujours quelque chose de l’atmosphère créée par la grande polémique du Vatican, qui interdit la fécondation in vitro, fait fermer des hôpitaux catholiques où il y avait des velléités d’en faire. À l’époque, j’avais été reçu par le cardinal Ratzinger, le pape actuel, pour en discuter. En fin de compte, il en est sorti l’instruction Donum vitae qui s’oppose à la fécondation in vitro, comme à la contraception et au préservatif, puisque tout ce qui dissocie la sexualité de la reproduction est condamné par l’Eglise. Nous avons aujourd’hui une loi de bioéthique, version 2004, qui interdit la recherche sur l’embryon, sauf exceptions et pour une durée limitée. Ce n’est pas avec ça que vous pouvez engager des jeunes qui se sentent regardés comme s’ils complotaient et étaient des apprentis-sorciers. D’ailleurs, la reproduction humaine n’est toujours pas reconnue comme une grande filière de l’INSERM, alors que nous avons demandé qu’elle le soit afin que les unités soient identifiées sous ce label. Aujourd’hui, comme on le voit pour la technique de vitrification, toute innovation est bloquée. Cela fait deux ans que l’on ne peut pas faire de vitrification en France, tandis que tous les pays limitrophes le font, avec des beaux taux de succès. Pourquoi ? Parce que c’est interprété par quelques juristes et par le ministre de la Santé comme une technique dont la conséquence est une recherche sur l’embryon qui est interdite. C’est justement tout à l’opposé de ce nous voulons faire : transférer des embryons pour faire des enfants.

- La recherche

Ce Nobel, j’espère qu’il va favoriser l’innovation, le progrès, la reconnaissance de découvreurs comme Bob Edwards, des gens qui ont envie de faire quelque chose. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas encadrer ni évaluer. Tout ce que l’on peut découvrir n’est pas forcément applicable ou devant être appliqué. Je rappelle d’ailleurs que le CCNE (Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie) est né après la naissance d’Amandine : le président François Mitterrand avait tout de suite compris que de gros problèmes éthiques étaient sous-jacents à la fécondation in vitro. Lors d’un débat à la Sorbonne (La Cité de la réussite, en avril 2010), où nous étions quatre professeurs, Yves Poulinquen (ophtalmologie), Alain Carpentier (cardiologie), Laurent Lantieri (greffe de visage), et moi-même, le journaliste nous demande : « Et si c’était à refaire, est-ce que vous pourriez le refaire ? » Sans être pourtant animés d’un esprit polémique, nous avons tous répondu que ce ne serait pas possible. Mais j’espère vraiment que l’esprit de découverte va souffler sur nos députés et nos dirigeants lors de la très prochaine révision de la loi bioéthique : je suis un fieffé optimiste ! »

PROPOS RECUEILLIS PAR STÉPHANIE HASENDAHL

Source : Le Quotidien du Médecin: 8830