Jusqu'où est-il possible de diminuer la durée de la chimiothérapie dans le cancer colorectal pour limiter au maximum la neurotoxicité de l'oxaliplatine ? Après avoir été réduite par étapes successives de 12 à 6 mois au fil des années dans les stades III, la barre des 3 mois n'est pas aussi simple à passer sauf dans certains sous-groupes, révèle une étude internationale publiée dans « The New England Journal of Medicine ».
Totalisant 12 834 patients atteints d'un cancer colorectal stade III issus de 6 essais randomisés dans 12 pays, la collaboration académique IDEA n'a pas conclu à la non-infériorité en termes de survie sans maladie à 3 ans avec une durée de 3 mois par rapport au standard actuel de 6 mois pour une chimiothérapie adjuvante à base d'oxaliplatine, le FOLFOX (oxaliplatine + 5FU + acide folique) en perfusion ou le CAPOX (oxaliplatine + capécitabine) par voie orale.
« On a fait à l'inverse de ce qui est fait d'habitude, expliquent les deux oncologues digestifs coordinateurs de l'étude pour la France, le Pr Thierry André de l'hôpital Saint-Antoine (AP-HP) et le Pr Julien Taïeb de l'hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP). Il s'agit d'une analyse poolée globale planifiée. Ce n'est que dans un deuxième temps que chaque essai a pris connaissance de ses résultats. Aucun organisme académique ne pouvait assurer le financement total d'une aussi grande étude, c'est pourquoi plusieurs essais se sont montés, chacun se débrouillant pour trouver ses propres soutiens ».
Deux situations très claires
Les résultats globaux sont négatifs mais cette grande étude a permis de planifier des analyses par sous-groupes. « Deux certitudes se dégagent très clairement, explique le Pr Taïeb. Premier point, une chimiothérapie de 3 mois par CAPOX fait aussi bien que 6 mois pour les stades III à bas risque, ce qui représente quand même près de 60 % des patients. Deuxième point, pour les cancers graves, il faut préférer une chimiothérapie de 6 mois par FOLFOX. »
Pour les deux autres cas de figure, la non-infériorité n'est pas statistiquement démontrée. « On ne peut pas conclure, explique Julien Taïeb. La différence est faible entre les groupes. »
Si une chimiothérapie par oxaliplatine associée à une fluoropyrimidine s'est imposée en standard depuis 2004 dans le traitement des cancers stade III, c'est-à-dire des cancers avec envahissement ganglionnaire, les problèmes de neurotoxicité cumulatifs avec le temps ont poussé à réduire la durée de la chimiothérapie. « Avec 3 mois de chimiothérapie, le risque de neurotoxicité séquellaire est rare », soulignent les deux coordinateurs.
La différence entre les deux protocoles de chimiothérapie, a priori équivalents en efficacité, a surpris. « Il n'y a pas eu de tirage au sort pour l'attribution de l'une ou l'autre des chimiothérapies, poursuit l'oncologue digestif. Il est possible qu'il y ait eu des biais de sélection. On préfère donner du FOLFOX aux patients les plus fragiles ». Il existe de fortes variations selon les pays. En France, le FOLFOX a été donné dans 90 % des cas et dans 100 % des cas aux États-Unis. Au Japon, le CAPOX a été donné dans 75 % des cas. Au total, le FOLFOX a été prescrit dans 60 % des cas et le CAPOX dans 40 %.
Une place pour l'interprétation
La différence observée entre 3 et 6 mois pose question. « Pour l'intervalle de confiance, le choix de la limite supérieure a été fixée arbitrairement à 1,12, développe Julien Taïeb. Pourquoi ? Parce qu'il y avait un consensus pour dire qu'il était acceptable de perdre la moitié du bénéfice de l'oxalipaltine en termes de survie, soit 12 % l'oxaliplatine ayant diminué de 24 % le nombre de décès à 3 ans ». Dans l'étude, la borne supérieure de l'intervalle de confiance était à 1,15, ce qui correspond à 3 % de risque de rechute et de décès supplémentaire. « C'est peu en valeur relative, mais beaucoup en termes de santé publique », explique Julien Taïeb.
La façon d'appréhender les résultats varie beaucoup selon les pays. « La Grande-Bretagne fait une analyse médico-économique très froide des résultats, estimant qu'un gain aussi faible justifie de préférer un traitement court par CAPOX à tout le monde, y compris les stades plus graves. À l'inverse, les pays latins jugent inacceptable la perte de chances pour les patients. Les Américains ont une approche clientéliste, avec des petits arrangements selon ce que veulent les patients »
Comme l'écrit Richard Schilsky de l'American Society of Clinical Oncology, les résultats de la collaboration IDEA vont « guider les discussions entre les oncologues et leurs patients » pour décider de la chimiothérapie (tolérance, IV/orale) et de sa durée. Ce sont des choix à la fois individuels et sociétaux. « Le Japon et la Grande-Bretagne portent le CAPOX, la France reste très attachée au FOLFOX mais est prête à basculer vers le CAPOX pour les faibles risques », explique Julien Taïeb. Quant à l'évaluation à plus long terme, les études précédentes de mortalité laissent penser « que les choses ne devraient pas trop bouger », concluent les deux chercheurs coordinateurs français.
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