Comment consolider la place dans la France dans l'innovation dans le champ des interfaces cerveau-machine (ICM) ? Les Académies de médecine et des technologies appellent à soutenir la recherche académique et à favoriser la création de start-up issues du public ou du privé, tout en se souciant des problématiques éthiques que ces ICM soulèvent, dans un rapport publié ce 12 décembre.
Alors que la recherche mondiale sur les ICM « explose », les Académiciens dressent un état des lieux des recherches en France. Et le bilan est enthousiasmant : « Des auditions effectuées, il ressort que les travaux des chercheurs sont dans l’ensemble de bon niveau », lit-on.
Des applications médicales prometteuses
Qu'appelle-t-on ICM ? Il s'agit d'une technique permettant de recueillir l’activité du cortex et de la transformer, grâce à un logiciel, en commande d’activités motrice ou sensorielle, sans passer par les périphériques habituels du cerveau que sont les nerfs et les muscles. Le recueil de l’activité corticale est soit extra-crânien, utilisant l’électroencéphalographie (ou l'imagerie par résonance magnétique fonctionnelle ou la magnétoencéphalographie), soit intracrânien avec implantation d’électrodes dans le cortex (donc plus invasif). L'on distingue les ICM synchrones (le cortex est stimulé par un évènement extérieur et cette réponse à un stimulus est enregistrée et transformée en commande), ou asynchrones (le sujet interagit à son initiative avec le système en donnant par la pensée un ordre moteur).
Selon les académiciens, ces technologies peuvent s'avérer prometteuses en médecine, notamment dans le champ du handicap, des déficits sensoriels (ouïe, vision) ou encore des affections neurologiques et psychiatriques (voir encadré).
Des défis scientifiques
Néanmoins, des défis scientifiques et techniques d'importance restent à relever pour passer du stade expérimental et confidentiel de ces recherches, à l'étape industrielle, notent les sages. Il s'agit d'abord de mieux connaître les réseaux neuronaux impliqués dans l'ICM, grâce aux neurosciences. Des progrès scientifiques doivent permettre de produire des électrodes plus fines, plus résistantes, et avec une qualité des enregistrements qui perdure dans le temps, afin de mieux détecter les signaux neuronaux. Ce qui suppose de retravailler en parallèle la transmission à l'ordinateur, avec ou sans fil. Il faut aussi progresser dans l'analyse des données, observent les auteurs.
« Nos systèmes électroniques actuels, de plusieurs ordres de magnitude plus petits que les neurones, mais doués d’une vitesse de traitement du signal bien supérieure, restent incapables de mimer la complexité des systèmes neuronaux », lit-on. « Au rythme des avancées actuelles, l’enregistrement simultané d’un million de neurones, le but fixé par l'agence du département de la Défense des États-Unis (DARPA) reste encore très éloigné dans le temps ». Aussi les académiciens insistent-ils sur l'importance de développer les programmes de recherche et de développement ciblés, tout en encourageant l'arrivée de nouveaux entrepreneurs - mais qui seuls ne pourront relever tous ces défis, malgré tout le zèle de la Silicon Valley. Pour plus d'efficacité, ils suggèrent la création d'une structure de mise en réseau des unités de recherche travaillant dans le domaine, avec une vision interdisciplinaire.
Des points de vigilance éthique
Enfin, les académiciens pointent une série de problèmes éthiques soulevés par les interfaces cerveau-machine. Se posent les problématiques traditionnelles de la relation médecin patient, avec toujours plus d'acuité : comment s'assurer du consentement du patient ? Comment l'informer parfois à contre-courant de ce qui circule sur les médias et réseaux sociaux ? Comment s'assurer que les traitements ne nuiront pas au patient ? Quel bénéfice réel va-t-il en tirer ? etc.
Ces technologies soulèvent aussi de nouvelles questions. Comment garantir un usage éthique des données personnelles de l'activité neuronale et ceci, d'autant que les sociétés ne sont pas toujours assujetties au règlement général pour la protection des données (RGPD) ? Les dérives pourraient aller jusqu'à l'utilisation par un tiers, contre l'intérêt du patient, « si la boîte noire de l'interface est reliée à un serveur extérieur ou si les données enregistrées sont piratées », mettent en garde les Académies.
Elles attirent l'attention sur le risque de coercition qui pèserait sur le patient, soumis à la volonté « normalisatrice » du médecin. « Certains patients ne souhaitent pas modifier leur situation. On doit toujours respecter l’autonomie et ne pas offrir à un patient ce dont il ne veut pas », rappellent les académiciens, non sans craindre une autocratie du numérique. « Les algorithmes utilisés se perfectionnent à partir des données précédemment enregistrées et, ainsi, imposent des options dont la paternité ne revient plus à l’utilisateur. Qui décide la machine ou le malade ? » Et d'appeler in fine à ce que ces techniques restent dans le domaine de l'homme réparé, sans s'aventurer vers l'horizon de l'homme augmenté.
5 exemples concrets d'ICM
Tétraplégie et exosquelette : le Pr Louis-Alim Benabid (Clinatec, CEA Grenoble) a mis au point une technique de commande corticale d’un exosquelette pour traiter des patients paraplégiques. Pendant les 24 mois d’expérimentation, les deux patients inclus dans cette étude se sont entraînés à de nombreuses tâches mentales pour accroître leurs mouvements. L'un d'eux contrôle « corticalement » un programme qui simule la marche et autorise certains mouvements bi-manuels et polyarticulaires du membre supérieur.
Paraplégie et stimulation électrique des circuits locomoteurs : pour recréer de la locomotion volontaire chez les paraplégiques, Grégoire Courtine et Jocelyne Bloch (EPFL-CHU, Lausanne) proposent de réactiver des circuits moteurs lombaires épargnés lors de l’accident, par la stimulation électrique couplée à l’apport de sérotonine. Huit paraplégiques ont bénéficié de ce protocole. Après six mois d'entraînement, la plupart ont récupéré une marche possible mais limitée et poursuivent les séances de stimulation en dehors du laboratoire.
Commande de prothèse : Nathanael Jarasse et Guillaume Morel (INSERM, CNRS, Université Pierre et Marie Curie) font appel à des patrons supports constitués à partir des mouvements du tronc et de l’épaule (et non le cortex moteur) pour accompagner le mouvement voulu de la prothèse du bras amputé.
Neurofeedback et troubles mentaux et moteurs : Anatole Lécuyer et l'équipe HYBRID (INRIA, Rennes) ont développé le logiciel OpenViBE appliqué au neurofeedback, qui permet au patient visualisant les ondes de son cerveau de les ramener par entraînement à une norme afin d’améliorer déficits moteurs et troubles mentaux (syndrome d’enfermement, sclérose latérale amyotrophique évoluée, déficits moteurs associés aux AVC, trouble avec déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité, dépression résistante).
Implants rétiniens : pour restaurer la vision en cas de perte des photorécepteurs (DMLA, rétinopathies pigmentaires et diabétiques, etc.), Serge Picaud (Institut de la vision, Paris) applique une stratégie consistant à réintroduire des informations visuelles dans le circuit neuronal en utilisant une puce électronique implantée en épi ou sous-rétinien afin de stimuler les cellules ganglionnaires et atteindre in fine le cortex visuel. Cette approche concerne aussi les lunettes de José-Alain Sahel et Pierre-Olivier Barale utilisées dans le cas des implants épirétiniens, ou celles de Yannick Lemer qui fonctionnent avec une puce subrétinienne.
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