LE QUOTIDIEN - Peut-on parler de crise de la recherche pharmaceutique ?
CHRISTIAN LAJOUX.
Je parlerais plutôt de mutation difficile mais passionnante car il est sûr que le modèle des trente dernières années me paraît dépassé. En effet, des exigences de plus en plus lourdes pèsent sur l’innovation, et les politiques tarifaires sont de plus en plus restrictives, en raison des tensions budgétaires que connaissent les systèmes de protection sociale. Surtout, face à une recherche médicale qui vit une véritable révolution, la recherche de nouveaux modèles de R & D et de nouveaux outils est nécessaire. On assiste à la montée en puissance des biotechnologies et, après le boom des anticorps monoclonaux en particulier, on peut prédire l’éclosion de nouvelles formes de biotechnologies. Enfin, vous savez que nous recherchons activement des méthodes permettant des traitements sinon individualisés, du moins stratifiés, assurant à des sous-groupes donnés de population, un meilleur rapport bénéfice risque.
Tout cela nous impose de rechercher des innovations dont la reconnaissance soit indiscutable, en dialoguant beaucoup plus en amont, avec les autorités de tutelle. Mais, à terme, je ne suis pas inquiet car, quand on dit qu’il y a pléthore de médicaments, on oublie qu’il demeure des champs entiers de la pathologie qui ne bénéficient pas de traitement.
Lutter contre les goulots d’étranglement aux niveaux international et national.
En pratique, que cela implique-t-il ?
Nous avons entrepris d’identifier et d’éliminer les « goulots d’étranglement » qui freinent la recherche préclinique et la R & D. Cela passe par l’élaboration de nouveaux outils prédictifs mais aussi par le développement de la recherche translationnelle, en favorisant des transferts de technologie. La collaboration entre recherche fondamentale et appliquée et entre « public » et « privé ». Surtout, nous assistons à une plus grande mutualisation des réflexions et des savoirs entre les firmes pharmaceutiques pourtant concurrentes, ce qui est salutaire. À ce titre, la création de l’Initiative Médicaments Innovants dont il sera largement question dans ce numéro est salutaire, avec des actions de formation et d’éducation pour favoriser l’interdisciplinarité. L’objectif final étant la mise au point de nouveaux modèles plus prédictifs en termes de sécurité et d’efficacité du médicament, avec une préoccupation spéciale pour la tolérance car celle-ci a été à l’origine de l’interruption de nouveaux développements, dans un passé récent.
À côté de cette collaboration internationale, il est bien sûr essentiel de mener des actions spécifiques dans notre pays, afin d’accroître sa participation à la découverte et au développement des nouveaux produits de santé.
La France a les moyens d’être un acteur important.
La France peut-elle encore prétendre à jouer un rôle majeur dans la recherche de nouveaux produits de santé.
Nous avons tout pour cela : des chercheurs reconnus au plan mondial, de grands établissements publics dans les sciences du vivant, un réseau hospitalier dense et de qualité, des incitations financières et attractives, de grands plans nationaux qui permettent de stimuler des secteurs clés de la recherche.
Il reste que des efforts s’imposent dans plusieurs domaines, ce qui est l’objectif du Comité Stratégique des Industries de Santé : implanter davantage de centres de recherche pharmaceutique dans notre pays en favorisant le dialogue entre les décisionnaires de nos grands groupes internationaux et les Pouvoirs Publics, développer les partenariats public/privé, simplifier les procédures administratives des essais cliniques tout en préservant la qualité et l’éthique, sensibiliser le public aux enjeux de la recherche clinique, mieux valoriser l’innovation…
Il est vrai que les chantiers sont nombreux mais je pense que la France est à même de relever ces défis, à la condition d’améliorer la collaboration public/privé en mettant l’accent sur trois points :
- le développement et la plus grande visibilité des études épidémiologiques, « nutriment » indispensable de la recherche ;
- une meilleure organisation de la recherche clinique en impliquant mieux hôpitaux, médecins, libéraux et associations de patients ;
- le développement de la recherche translationnelle, pour favoriser les collaborations interdisciplinaires et les transferts de technologie.
Dans tous ces domaines, le développement de passerelles public/privé est prioritaire mais je suis globalement confiant.
Tout de même, la France n’a-t-elle pas raté sa révolution biotechnologique ?
On ne peut dire cela car la France est leader pour les produits biologiques traditionnels, à commencer par les vaccins (nous sommes en avance sur les États-Unis à ce sujet) et l’insuline.
Mais il est vrai que nous avons pris du retard pour les biotechnologies modernes, ce qui a des conséquences graves : la moitié des nouveaux produits avec ASMR1, souvent issus des biotechnologies, ont été développés sans participation de la France aux essais cliniques.
Mais les choses bougent… Déjà sanofi aventis vient de lancer un centre de biotechnologie à Vitry, en ouvrant aux autres firmes des moyens de formation et de logistique. On retrouve cet esprit de collaboration qui se développe dans l’industrie…ce qui peut même aller jusqu’à une collaboration commerciale comme en témoigne l’accord GSK/Pfizer dans le VIH ( cela aurait été impensable il y a quelques années).
Surtout le gouvernement, à l’initiative du Président de la République et grâce à l’action du Ministre Luc Chatel, entend faire des biotechnologies une priorité, en demandant notamment aux grandes entreprises pharmaceutiques de constituer un fonds de développement des start-up, afin de permettre à ces dernières de traverser les difficultés financières et logistiques qu’elles peuvent rencontrer.
Tout cela me fait dire que nous traversons une période difficile mais passionnante, car je ne doute pas un seul instant que l’industrie du médicament et la France sauront relever ces défis.
(1) Président du LEEM
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