LA MÉDECINE PERSONNALISÉE, avec sa connotation humaniste, charrie beaucoup de promesses. « Elle représente une attente majeure : chaque individu a tendance à se considérer comme un cas particulier », résume Jean-Louis Touraine, député membre de l’OPECST. Mais que recouvre précisément le concept ?
« Il existe plusieurs définitions : d’abord, le traitement le plus personnalisé possible avec une prise en compte du malade dans sa totalité. Ensuite, c’est la prédiction des effets des médicaments et la prévision de la survenue des maladies, grâce aux tests génétiques ou au séquençage du génome », explique devant les parlementaires le généticien Axel Kahn. Une troisième acception recouvre la médecine stratifiée, qui catégorise les individus selon certaines de leurs caractéristiques génétiques.
Thérapies ciblées.
D’aucuns préfèrent parler de « precision-based medicine », pour marquer l’évolution franchie depuis l’evidence-based medicine. « On passe d’une approche probabiliste à une approche déterministe », analyse le Pr Florent Soubrier, responsable du département génétique du groupe La Pitié-Salpétrière-Charles Foix.
La pertinence de la médecine personnalisée est vérifiée depuis longtemps en oncologie. Dès la fin des années 1990, des thérapies ciblées sont introduites. « La chimiothérapie détruit les cellules en division, dont certaines sont saines. Grâce aux thérapies ciblées, des médicaments sont synthétisés pour inhiber une cible précise, un liant, un récepteur, ou une voie de signalisation » explique le Dr Christophe Le Tourneau, oncologue à l’Institut Curie. À l’hôpital, la localisation de la tumeur est primordiale : un exemple concret de médecine stratifiée.
Les médecins s’interrogent désormais sur la pertinence de l’identification de profils moléculaires. Certaines anomalies sont déjà recherchées, comme l’HER2 qu’on retrouve chez 20 % des patientes souffrant d’un cancer du sein. « On leur donne un anticorps ciblé pendant un an qui diminue par deux le risque de récidive » affirme le Dr Le Tourneau.
Faut-il aller plus loin et repérer toutes les anomalies moléculaires de chaque patient ? S’interroge l’oncologue. Pour y répondre, il a lancé l’essai SHIVA incluant 130 patients (200 escomptés) pour comparer l’efficacité d’une thérapie ciblée choisie en fonction du profil biologique de la tumeur à la chimiothérapie conventionnelle.
La médecine génomique permet au moins de mieux comprendre certains cancers, comme le colorectal. « Longtemps considérée comme une maladie homogène (95 % sont des adénocarcinomes), la maladie s’est révélée très hétérogène sur le plan moléculaire », observe le Pr Pierre Laurent-Puig (Georges Pompidou et Inserm). Les « omics »* ont ainsi permis d’identifier 6 groupes aux caractéristiques spécifiques et aux pronostics différents.
Au-delà du cancer.
La médecine personnalisée est très utilisée dans les maladies héréditaires ou orphelines, comme la drépanocytose ou la leucémie promyélocytaire. Le taux de guérison pour cette dernière pathologie était de 25 % à la fin des années 1970 avec une chimiothérapie. Grâce à la synergie de l’arsénique et de l’acide rétinoïque, la plupart des malades sont guéris. « Cela ne peut être généralisé aux autres leucémies. Il faut trouver les biomarqueurs, et former les équipes, le séquençage est complexe, mais les résultats sont impressionnants », estime le Pr Hugues de Thé, chef du service de biochimie à l’hôpital Saint-Louis.
La médecine personnalisée s’applique aussi - bien qu’à un stade moins avancé - aux maladies infectieuses chroniques, comme le VIH ou les hépatites. Selon le Pr Jean-François Delfraissy, elle permet d’identifier les marqueurs d’évolutivité de la pathologie ou de comprendre pourquoi 3 % des personnes ne répondent pas aux vaccins. En terme de traitement, un marqueur de sensibilité à l’interféron pégylé (contre hépatite C) a déjà été identifié.
Défis éthiques.
Nouveau paradigme, la médecine personnalisée incite d’abord l’industrie pharmaceutique à se repositionner, le blockbuster perdant pertinence et rentabilité. Comment financer ces traitements de niches ?
D’autre part se pose la question de la confidentialité. Les données des patients sont-elles assez sécurisées ? « L’assurance-maladie ou les assureurs ne vont-ils pas faire pression pour connaître les risques » ? interroge le Pr André Syrota, président de l’INSERM.
« En termes sociétaux, la médecine de masse n’a pas réduit les inégalités sociales de santé », poursuit-il. Qu’en sera-t-il avec la médecine personnalisée ? Quelle différence fera-t-on entre soins et confort ?
Les associations de patients, au rôle accru, devront se former et dépasser leur unicité de combat pour reconnaître l’hétérogénéité des pathologies.
Enfin il faut renoncer à prédire l’avenir. Comme le fait remarquer Axel Khan, connaître un risque, comme le tabac, ne conduit pas systématiquement les personnes à lutter contre la survenue d’une pathologie. « Un gène ne code jamais un destin : l’être humain est confronté à un environnement », conclut le généticien.
*Nouvelles technologies faisant référence à « genomics, transcriptomics, proteomics, metabonomics... »
Dans la cholécystite, la chirurgie reste préférable chez les sujets âgés
Escmid 2025: de nouvelles options dans l’arsenal contre la gonorrhée et le Staphylococcus aureus
Yannick Neuder lance un plan de lutte contre la désinformation en santé
Dès 60 ans, la perte de l’odorat est associée à une hausse de la mortalité