PROUST, VALERY, Rilke, Gide, Beckett, Queneau, Van Gogh… La liste des illustres « patients » sur lesquels s’est penchée la haute silhouette du Pr François-Michel est impressionnante. A défaut de les avoir rencontrés en direct, il n’en a pas moins engagé des colloques singuliers – et même très singuliers – avec chacun de ces créateurs : scrutant leurs écrits, leurs œuvres et les témoignages de leurs entourages, le pneumologue a ausculté leurs états physiologiques et psychologiques, parcourant les arcanes de la maladie et du génie, vérifiant dans les nombreux ouvrages qu’il leur a consacrés l’existence d’« un parallélisme entre l’œuvre d’art et l’art médical ».
Sa proximité avec cette patientèle des génies est telle qu’il a été en mesure de reconstituer les dialogues de Van Gogh* avec ses psychiatres. Sans se départir jamais de sa rigueur scientifique : chef de service maladies respiratoires et allergologie à 34 ans, dans son CHRU de Montpellier, membre de l’unité INSERM « immunopathologie de l’asthme », auteur de plus de 300 publications dans les revues internationales, « il est avant tout, assure le Pr Jacques Bringer, doyen de la faculté de Montpellier, un pionnier innovant qui a modernisé sa spécialité, tant en allergologie qu’en cancérologie, faisant émerger une équipe remarquable, avec la même exigence dans la recherche clinique que dans l’enseignement, faisant preuve d’un sens remarquable de la synthèse. » Un scientifique, donc, mais, ajoute le doyen de Montpellier, « doté d’une capacité d’observation, d’écoute et d’échange avec son patient, telle qu’il pratique toujours la médecine des personnes et non pas celle des maladies. »
« La médecine, confirme le Pr Michel, aussi scientifique soit-elle, sera toujours un art et non une science. » Contre la menace d’une pratique qui serait uniquement technologique, informatisée, comptabilisée, évaluée, « sécurité-socialisée », et qui ferait du médecin un technicien supérieur, François-Bernard Michel revendique pour le médecin, à l’instar de l’artiste, un statut original et humaniste, déployé dans l’art du face à face soignant-souffrant, avec la ré-invention permanente d’un dialogue nouveau. « Tout homme est unique et désire être reconnu singulier, insiste-t-il ; comme l’artiste, le médecin aussi peut proposer sa contribution aux personnes soucieuses d’accéder à leur transcendance. Tel est le dénominateur commun de ces quêteurs de sens que nous sommes à part entière, nous les médecins, comme les artistes. »
Comprendre l’asthme avec Proust.
« La médecine et l’art s’apprennent mutuellement », explique l’ex-président de l’académie européenne d’allergologie et immunologie clinique et fondateur de l’association « Asthme ».
À telle enseigne, confie-t-il, que « c’est Proust, qui m’a fait enfin comprendre l’asthme, il m’a fait aborder autrement le phénomène de la crise, en le reliant à toute l’histoire de la personne. En fait, j’ai découvert en le lisant qu’il n’y a pas de différence entre la physiologie et la psychologie »**.
L’exemple de l’anaphylaxie est édifiant, argumente-t-il : « Alors que ce mécanisme a été décrit en 1902 par les deux Nobel français Richet et Portier, Proust va le décrire en littérature dès 1920, à travers le phénomène sympathie/rejet, tel qu’il l’a observé entre la duchesse de Guermantes et l’ambassadrice de Turquie, donnant une véritable leçon d’anatomie psychique, alors qu’il faudra attendre 60 ans pour que la science découvre enfin le ressort de ce mécanisme physiologique ! »
Poursuivant la comparaison entre l’art et la médecine, le Pr Michel observe que « l’œuvre d’art, qu’elle soit peinte, gravée, sculptée, musicale ou écrite, provoque l’anaphylaxie en déclenchant une onde de choc, l’équivalent mental d’une allergie majeure, cependant que le médecin, lui, cherche à provoquer une heureuse anaphylaxie mentale, en répondant à la demande profonde du malade. En fait, l’œuvre d’art comme la pratique de la médecine sont, chacune à leur façon, anaphylactisantes. »
Des patients, pas des poumons.
En fait, résume la romancière Michèle Gazier, de fille de patient devenue son amie, « le Pr Michel ne marque pas de césure entre le monde de la pensée, de la philosophie, de l’art et de la littérature, et celui de l’exercice médical, il n’a jamais considéré ses patients comme des poumons, ou comme des nez. À l’époque des médecins sélectionnés sur leur capacité en mathématiques, il renoue avec la tradition des médecins lettrés. Et dans chacun de ses livres, en particulier dans ses recueils de poésie, il s’exprime comme un amoureux de l’écriture ».
Au fil de ses nombreuses publications, François-Bernard Michel a fini par être repéré, pas seulement à l’Académie de médecine, mais à l’Institut : l’Académie française, lui a décerné en 1999 son prix Jacques de Fouchier, l’Académie des Beaux Arts l’a élu dans sa section des membres libres, entre Pierre Cardin et Henri Loyrette (l’ex patron du Louvre), et elle l’a porté à deux reprises à sa présidence, en 2006 et 2012. Sous la coupole, le pneumologue n’est pas considéré comme un intrus. « Tout au contraire, proteste le peintre Pierre Carron, lui-même ex-président de l’institution, M. Michel est investi de la confiance de tous les artistes qui se retrouvent ici, ils savent qu’il est un fin connaisseur des arts. Et notre compagnie lui est redevable de ses initiatives, comme les colloques qu’il a créés et organisés sur la création contemporaine. Par son discernement et son intuition, il suscite nos réflexions et il interpelle notre compréhension de l’humain. »
Coprésident depuis 2004 du CMIL (Comité médical international de Lourdes), chargé d’examiner les dossiers des guérisons dites inexpliquées, sur ces questions comme sur les autres, le Pr Michel s’abstient d’asséner des dogmes et de proclamer des vérités tranchées. Il préfère se livrer dans l’écriture de ses poésies, ou de ses nouvelles ; dans son dernier recueil***, il donne ainsi la parole à l’olivier de Jean Giono, au platane de Paul Valéry, ou à l’amandier de Georges Brassens, pour se demander : « Nos vies du XXIe siècle sont-elles à la hauteur des élancées de ces arbres ? » Mais le médecin n’est jamais loin du poète. « Quand vous le prenez par la manche pour lui faire part d’un problème, raconte Pierre Carron, lui qui est toujours happé par ses allers-retours incessants entre sa ville de Montpellier et Paris, il arrête tout : comme si votre cas était l’affaire la plus importante à ses yeux. » Vous avez dit « anaphylactisant » ?
* Van Gogh, psychologie d’un génie incompris, Odile Jacob, 2013.
**Voir « Le Souffle coupé (respirer et écrire) », Gallimard, 1984.
*** « Histoires d’arbres et d’artistes », Le Papillon rouge éditeur, 2013.
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