TROIS ACADÉMIES nationales, sciences, technologies, et pharmacie, et deux ans de préparation pour une journée de colloque*, sont le signe de l’importance que revêt l’innovation thérapeutique. La période est aux tendances contradictoires. L’innovation reste nécessaire. Les pathologies non traitées sont nombreuses, beaucoup se chronicisent. Des maladies émergent et les virus résistent. Les progrès technologiques et thérapeutiques sont indéniables ces dernières années. « La santé est le driver du développement des technologies », assure Jean-François Bach, secrétaire perpétuel de l’Académie des Sciences.
Des horizons nouveaux se dégagent : Les biopharmaceutiques (les grosses molécules comme les anticorps monoclo), les omics (la thérapie cellulaire, la reprogrammation des cellules souches), la médecine personnalisée et même de nouveaux antibiotiques. « Il n’y aura pas d’effondrement majeur des petites molécules au profit des seules grosses. Chaque outil thérapeutique va trouver sa place », prévoit Bernard Meunier, vice-président de l’Académie des sciences.
Pourtant « pour la première fois de son histoire le secteur pharmaceutique décroît en Europe, il connaît une crise », assure l’économiste Claude Le Pen. Idem Outre-Atlantique. « Même si la FDA constate une augmentation des projets de recherche déposés et des molécules enregistrées, les 4, 5 dernières années ont été difficiles. Sur le premier trimestre 2013, il a perdu 3 % de sa valeur », poursuit-il. « Si vous comparez le nombre de molécules approuvées par la FDA entre 1996 et 2011, il a diminué par un facteur de 2 à 3 », corrobore Daniel Mansuy, de l’Académie des sciences.
« La croissance - liée aux génériques dans les pays en voie de développement - n’est plus portée par la technologie », résume l’économiste Claude Le Pen.
Explosion des coûts.
Où sont les freins ? Partout ! Répondent les experts. L’explosion du coût de la recherche incite les industriels à minimiser les risques. D’après les statistiques de la FDA, les recherches présentées en phase précoce sont toujours aussi importantes. Mais « elles sont beaucoup moins nombreuses à atteindre le stade tardif : les industriels anticipent les échecs et tuent plus tôt les projets » affirme Claude Le Pen. Les innovations sont rares à passer la vallée de la mort, qui correspond à la phase préclinique réglementaire jusqu’à l’expérimentation du concept chez le patient. Elles sont arrêtées en raison de leur toxicité, manque d’efficacité ou de rentabilité. « Tout a augmenté : entre 1999 et 2005 le nombre de procédures par essais est passé de 87 à 158, le nombre de personnes autour d’un essai clinique, de 21 à 35, le nombre de jours, de 460 à 580...», énumère l’économiste. Selon Bernard Meunier, la durée entre le dépôt d’un brevet et la mise sur le marché est passée de « 8 ans pour le Plavix à 13, 15 ans. Dans 15 ans, il faudra 20 ans ! ».
Et le renforcement des exigences post-AMM n’assure plus le maintien sur le marché d’un produit.
« Les industriels préfèrent maximiser la probabilité de lancement d’une molécule, qui doit rembourser en plus le coût des échecs », reprend Claude Le Pen. Entre 1970 et 2000, le coût de lancement d’une molécule a été multiplié par 10 pour se stabiliser depuis une décennie autour de 1,5 à 2 milliards de dollars. Face à cette diminution de la productivité en R&D, les produits de recherche se concentrent dans des niches fructueuses : oncologie, maladies auto-immunes, antidiabétiques, vaccins, antirétroviraux.
Lourde responsabilité.
La judiciarisation de la santé invite aussi à la prudence. « Ce qui fait avancer la santé, c’est le bilan bénéfice risque que seuls les médecins et pharmaciens peuvent établir. Mais la responsabilité juridique s’invite comme un étranger », dénonce Louis de Gaulle, avocat. La loi Kouchner de 2002, en créant l’office national d’indemnisation des accidents médicaux (ONIAM) et les commissions régionales de conciliation et d’indemnisation (CRCI) a introduit une alternative consumériste - un droit à la réparation - à la responsabilité sans faute qui prévalait pour les fabricants depuis 1998. Mais la jurisprudence est moins clémente et demande aux praticiens ou aux établissements une obligation de moyens : ils doivent apporter la preuve qu’il n’y a pas eu de faute. « On s’oriente vers un système de responsabilité sans faute pour les opérateurs, et plus seulement pour les fabricants. Les contrôleurs des bilans bénéfice-risque refuseront de s’engager », analyse Louis de Gaulle.
Sciences et société à un tournant.
Le destin de l’innovation ne peut se comprendre sans s’interroger enfin sur l’état de la science. « Nous avons beaucoup progressé dans la biologie fondamentale, non dans la pathogénèse. Nous avons sous-estimé la complexité biologique » estime Élias Zerhouni, président Monde, R&D de Sanofi, et membre de l’Académie de médecine. Les échecs en phase 3 sont, pour lui, la conséquence de notre méconnaissance de la pathobiologie. « On peine à prévoir l’effet d’une molécule. Ce n’est pas un problème technologique, mais bien scientifique ». Et d’appeler à changer la polarité. « Nous ne devons plus partir de l’outil (l’ADN, la molécule) sur la paillasse, au lit, puis au malade et à la population, mais du malade d’abord », poursuit l’ancien directeur du National institutes of health.
Encore faut-il que la société porte ces changements. « Il y a une peur sociale de l’innovation en France et les crises d’application de la science ont donné lieu à la multiplication de parapluies réglementaires », constate le député Jean-Yves Le Déaut, au regard des débats sur les cellules souches embryonnaires ou la biologie de synthèses qui ont agité l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) dont il est vice-président.
Au-delà des barrières financières, l’innovation devrait retrouver son souffle dans la mutation de son modèle. « Il faut que tous les acteurs dialoguent, que les décideurs se rendent compte de la complexité de la création des médicaments et que les juristes ne mettent pas la protection et la sécurité à toutes les sauces », résume le Pr Bernard Meunier. Ce bouleversement ne se fera pas sans les malades. De sujets, ils sont devenus des partenaires dans l’évaluation et la mise sur le marché des nouveaux médicaments.
*Vidéos disponibles : http://www.academie-sciences.fr/video/v110613.htm
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