« La protection robuste conférée par l'administration locale ponctuelle de kenpaullone laisse penser que les inhibiteurs de CDK2 pourraient transformer la prévention et le traitement de la perte auditive causée par le cisplatine et le bruit chez les patients », estime le Dr Jian Zuo, neurochercheur à l’hôpital de recherche pédiatrique Saint-Jude à Memphis (États-Unis), dont l’étude est publiée dans le « Journal of expérimental Medicine ».
La perte de l’ouïe liée au vieillissement, au bruit, à certaines chimiothérapies et antibiothérapies ou encore à d’autres facteurs, affecte plus de 360 millions de personnes dans le monde. Or il n’existe à ce jour aucun médicament approuvé pour prévenir ces pertes auditives. L’équipe du Dr Zuo a étudié une collection de près de 4 400 petites molécules (dont 845 médicaments approuvés par la FDA) afin d’identifier lesquelles sont capables de protéger des cellules cochléaires de souris soumises à la toxicité du cisplatine. De telles molécules otoprotectrices seraient précieuses : le cisplatine est un anticancéreux majeur utilisé contre divers cancers, mais il provoque une perte auditive irréversible chez jusqu’à 70 % des patients.
Une molécule évaluée dans la SLA
Les chercheurs ont ainsi sélectionné une dizaine de composés, capables aussi de protéger des explants de cochlée de souris contre la toxicité du cisplatine, dont trois sont des médicaments approuvés pour d’autres maladies (leflunomide, cyanocobalamine, et olsalazine sodium). Trois des composés les plus efficaces sont des inhibiteurs de l’enzyme CDK2 (cyclin-dependent kinase 2). Le premier, la kenpaullone, un inhibiteur de plusieurs kinases (dont CDK2), est actuellement évalué contre la sclérose latérale amyotrophique.
« La kenpaullone, notre composé en tête de liste, confère une meilleure protection contre la perte des cellules cillées due au cisplatine comparé aux 4 composés de référence actuellement testés dans les essais cliniques (D-méthionine, ebselen, thiosulfate de sodium, et dexaméthasone). De plus, il est aussi protecteur contre les pertes de l’audition causées par le bruit, les antibiotiques, et peut-être même le vieillissement », précise le Dr Zuo au « Quotidien ».
La kenpaullone exerce cette protection en empêchant la kinase CDK2 de stimuler la production mitochondriale de radicaux libres induite par le cisplatine, diminuant ainsi l’apoptose (ou mort) des cellules. Une injection trans-tympanique de kenpaullone dans l’oreille moyenne se montre protéger la souris et le rat de la perte auditive induite non seulement par le cisplatine, mais aussi par le bruit (jusqu’a 100 décibels). « Étant donné que le bruit à 100 dB se situe dans la gamme des nuisances sonores couramment rencontrées dans notre société, la kenpaullone pourrait avoir une importante application clinique pour traiter la perte auditive induite par le bruit », souligne le Dr Zuo.
Vers des essais cliniques
Par ailleurs, une étude non publiée a montré que l’inhibition de CDK2 confère aussi une protection contre l’ototoxicité des antibiotiques.
« Dans une précédente étude chez des enfants affectés de tumeurs cérébrales, nous avions identifié une prédisposition génétique à la perte auditive induite par le cisplatine (Xu et al., Nature Genetics 2015). Nos composés protecteurs pourront être évalués chez ces patients à risque afin d'éviter leur perte auditive », laisse entrevoir le Dr Zuo.
« La prochaine étape sera de développer nos composés pour obtenir le statut de nouveau médicament expérimental (IND) avant de lancer les essais cliniques. Par ailleurs, nous développons de meilleures méthodes pour administrer nos composés et continuons de prospecter pour des molécules encore plus efficaces », confie le chercheur. « Nous avons des demandes de brevets pour les États-Unis, la Chine, le Japon et l'Europe », ajoute-t-il avec enthousiasme.
Rockefeller University Press, J. Exp. Med., Teitz et coll., 8 mars 2018
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