La loi Jardé du 5 mars 2012 avait pour ambition de simplifier la loi Huriet-Sérusclat du 20 décembre 1988.
La réalité est tout autre : il s’est agi, non pas d’amender la loi de 1988, mais d’une autre loi dont la finalité, le contenu et la mise en œuvre sont fondamentalement différents, comme en témoigne d’ailleurs l’intitulé des deux textes : la loi du 20 décembre 1988 est relative « à la protection des personnes dans la recherche biomédicale ». Première des lois de bioéthique inspirée par la déclaration de Nuremberg de 1947, qui sanctionnait les crimes perpétrés par des médecins dans les camps d’extermination nazis, elle encadre les recherches cliniques effectuées sur des personnes, et crée l’obligation d’en obtenir le consentement préalable.
La loi Jardé est relative « aux recherches impliquant la personne humaine », rédaction qui surprend car le verbe impliquer signifie, selon Larousse, « attribuer à quelqu’un une part de responsabilité dans une affaire fâcheuse » ! Elle vise à renforcer la sécurité des personnes selon un mécanisme curieux, en vertu duquel les contraintes de la loi sont fonction du niveau de risque. C’est d’autant plus incohérent que la recherche et les essais cliniques ont pour objectifs, dans le domaine des innovations thérapeutiques par exemple, d’en apprécier les bénéfices attendus et les risques éventuels, autrement dit pour définir certaines recherches « à risques minimes » on anticipe les résultats auxquels elles sont censées parvenir !
La loi distingue, au nom de la simplification, trois catégories de recherche :
• Les recherches interventionnelles qui comportent une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle,
• Les recherches interventionnelles, qui ne portent pas sur des médicaments, et où les risques et contraintes restent minimes (?),
• Les recherches non interventionnelles pour lesquelles tous les actes sont pratiqués et les produits utilisés de manière habituelle. Il s’agit, en fait, non pas de recherche mais d’évaluation de pratiques qui ne posent pas les mêmes problèmes en matière de sécurité du patient.
Pour ces deux dernières catégories, les CPP (comités de protection des personnes) qui sont désormais décisionnaires, deviennent le référent principal en matière d’autorisation et de suivi des données de sécurité, l’ANSM, (agence nationale de sécurité du médicament) ne faisant l’objet que d’une information.
Depuis leur création en 1988, les comités n’ont fait l’objet d’aucune évaluation, et leur composition n’a pas été modifiée mise à part la présence d’un biostatisticien. Elle est totalement inadaptée à leurs nouvelles missions : attendons le premier avis d’un CPP saisi d’un protocole concernant les nano-médicaments !
Il y a plus grave encore. Le risque de saturation des CPP est réel. Leur capacité maximum est estimée par le ministère de la Santé à 4 500 dossiers par an. L’afflux de recherches « non interventionnelles » ne leur permettra pas de rendre valablement un avis dans le délai de 35 jours, au-delà duquel leur silence vaut avis défavorable.
Le décret d’application, attendu depuis quatre ans, avec impatience par les uns, inquiétudes par les autres, est enfin publié (« J. O. » du 12 novembre 2016).
Parmi les points saillants de ce décret, on relève la création d’une commission nationale des recherches impliquant la personne humaine (« RIPH »), le passage en CPP de toutes les recherches, y compris les recherches non interventionnelles ne modifiant pas la prise en charge des patients, que le règlement européen (UE n° 536-2014) ne prend pas en compte…
La répartition aléatoire des dossiers entre les CPP, afin d’éviter tout risque de lien d’intérêt, pourrait constituer un mode d’optimisation de leur fonctionnement, à une condition toutefois, c’est qu’on soit assuré que la composition et le fonctionnement des comités offrent des garanties de compétence, conformes à la réglementation qui les régit. Or ce n’est pas le cas. En effet, ces instances, qui exercent une mission de service public, n’ont jamais été évaluées (malgré une demande instante que j’avais introduite… en avril 2001).
La publication du décret du 16 novembre 2016, dont la rédaction laborieuse a demandé près de quatre ans, a suscité de nombreuses réactions. Saisi en référé par la Fédération des entreprises de la beauté qui demande la suspension de l’exécution du décret, le Conseil d’État va devoir se prononcer sur le fond. L’ensemble des dispositions de la loi Jardé va faire l’objet d’une analyse juridique d’un texte qui accumule les ambiguïtés, les imprécisions, les contradictions, au détriment des exigences de rigueur de la recherche sur l’homme et de la protection des personnes qui s’y prêtent, ainsi que des personnes humaines (!) Impliquées (!!) dans la recherche.
* Sénateur honoraire, membre honoris causa de l’Académie nationale de médecine
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation