Dans une tribune récente, le Sénateur Huriet, auteur en 1988 avec Franck Sérusclat de la loi qui porte leurs deux noms, dit tout le mal qu’il pense de sa dernière révision, conduite en 2012 par Olivier Jardé et qui se met en place depuis 3 mois. Ce faisant, il intervient tardivement dans le débat public et semble croire que l’importante modification en cours de l’encadrement de la recherche biomédicale est entièrement attribuable au décret d’application de la Loi Jardé… Passons, et reprenons plutôt la chronologie.
Lorsque la loi Huriet-Sérusclat a été promulguée en décembre 1988, elle était la première en France à traiter de l’encadrement de la recherche sur l’être humain, jusque-là laissée dans un vide juridique inquiétant. Nul ne conteste l’importance majeure de ce texte séminal. Mais fallait-il pour autant, ou plutôt, pouvait-on laisser la loi dans son état initial alors que la médecine, la biologie, la recherche et son environnement international ont subi depuis 30 ans un bouleversement et une évolution proprement stupéfiants ?
La première révision d’envergure a eu lieu à l’été 2004, portée par les trois lois dites bioéthiques (santé publique, bioéthique proprement dite et de révision de la loi Informatique et libertés). Cette révision était nécessaire en raison de l’obligation de transposer dans notre droit national la directive européenne de 2001 relative aux essais cliniques de médicaments.
À cette occasion, une nouvelle catégorie de recherche clinique portant sur la comparaison de différentes modalités de « soins courants » voit le jour. Réclamée par les investigateurs et promoteurs « académiques » et certains organismes de santé publique afin d’orienter les choix des praticiens et décideurs publics, ses dispositions se veulent plus simples que pour les recherches interventionnelles classiques. Développée plus tard aux États-Unis sous le nom de « comparative effectiveness research », cette nouvelle catégorie de recherche met en œuvre ce qui va devenir le nouveau paradigme, l’« approche basée sur le risque ». Un « mécanisme curieux et incohérent », selon Claude Huriet, mais qui se retrouve pourtant aussi bien dans le Règlement européen de 2014 que dans les textes nord-américains actuellement en cours de révision.
Coordination et simplification
La profusion législative de 2004 prenait certes en compte toute la complexité de la recherche biomédicale de l’époque, mais les dispositions issues de trois lois différentes étaient mal accordées et peu lisibles. Ainsi, certaines recherches, pourtant dépourvues de tout risque, devaient être soumises avant de pouvoir débuter à cinq guichets différents ! Une meilleure coordination et une simplification de cet ensemble étaient devenues indispensables : ce serait l’objectif de la loi Jardé, en chantier à partir de 2008, promulguée en 2012 et finalement mise en œuvre seulement en novembre 2016. Retard regrettable certes, mais inévitable, car lié à l’attente du nouveau règlement européen destiné à remplacer la directive de 2001 et qui n’a été publié qu’en 2014.
L’intégration des recherches non interventionnelles (on dit aussi observationnelles) dans le champ de la loi relative à la recherche biomédicale en est sans doute sa plus grande nouveauté. Cette extension de son périmètre répond à la volonté de séparer clairement les recherches portant sur des données, qui sont du ressort de la CNIL et de son Comité d’expertise, de toutes celles qui « impliquent la personne humaine » et qui à ce titre doivent être soumises à un CPP et pour certaines d’entre elles à l’ANSM. La loi vise ainsi à affecter chaque catégorie de recherche à un seul guichet de soumission. Ce faisant, elle a élargi le champ de compétence des CPP. Surtout, cette extension du périmètre de la loi exigeait de moduler le niveau de protection et de contraintes réglementaires en fonction du risque encouru par les personnes qui se prêtent à ces recherches. La loi Jardé a ainsi voulu concilier protection des patients et volontaires sains avec le soutien à la recherche, en simplifiant ou même supprimant les procédures inadaptées tout en élevant les exigences de vigilance et de sécurité dès qu’elles étaient nécessaires.
Risques de saturation : des garde-fous
La mise en œuvre de la réforme Jardé, ambitieuse, la deuxième de cette envergure en trente ans, repose pour l’essentiel sur les Comités et leur capacité à faire face à l’élargissement de leurs missions. Dès 2004, le législateur avait renforcé leur pouvoir en interdisant à un promoteur de passer outre un avis défavorable. C’était une évolution normale et souhaitable des anciens CCPPRB, d’ailleurs conforme aux référentiels internationaux. Et, de fait, les accidents – s’ils sont toujours à déplorer et doivent systématiquement nous interroger – restent plus qu’exceptionnels. Néanmoins, le risque de saturation des 39 CPP français est bien réel. C’est pourquoi la loi Jardé révisée en 2016 et ses textes d’application ont prévu plusieurs dispositions visant à simplifier et à accélérer les procédures d’examen des projets par les CPP, telles la possibilité de créer des comités restreints ou une voie ultra simplifiée pour les recherches ne comportant que des questionnaires. Dans le même esprit, le décret modificatif de mai 2017 explicite le champ d’application de la loi et liste les recherches qui en sont exclues.
Dans un environnement international rapidement évolutif, l’encadrement de la recherche française du XXIe siècle ne pouvait rester bloqué aux années 1980. Ce n’était acceptable ni pour les patients, ni pour les médecins, ni pour les chercheurs. La loi Jardé sépare enfin nettement les recherches qui « impliquent la personne humaine » de celles qui ne portent que sur les données. Les nouveaux paradigmes que sont l’évaluation de la balance risques/bénéfices et l’adaptation des procédures aux risques ont remplacé l’appréciation du « bénéfice individuel de la recherche », véritable colonne vertébrale de la loi Huriet. Il faut maintenant laisser du temps aux acteurs de la recherche, participants, investigateurs, promoteurs et membres des CPP, afin de leur permettre de s’approprier les nouveaux textes.
* Artisans de la loi de 2012 « relative aux recherches impliquant la personne humaine »
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