LE QUOTIDIEN : Vous instaurez aujourd'hui le comité stratégique de la santé mentale et de la psychiatrie (CSSMP). Quelle sera sa mission ?
AGNÈS BUZYN : J'ai souhaité rassembler au sein d'une même organisation les personnes qui s'occupent de santé mentale au sens large et les psychiatres, pour inciter à une prise en charge globale des personnes. C'est moi-même qui le préside. La problématique de la santé mentale est insuffisamment prise en compte dans notre pays ; la psychiatrie a été laissée à l'écart des différentes réformes. Je veux donc remettre la santé mentale au cœur de mon projet.
Le CSSMP se met en route ce jeudi 28 juin. Il comprend une trentaine de représentants des différentes professions* – contre une centaine pour le précédent – afin d'être plus opérationnel. Je vais lui présenter une feuille de route issue des concertations menées avec les professionnels, avec 37 mesures concrètes. Le comité aura un rôle de suivi et de mise en œuvre de la réforme. Il se réunira une à deux fois par an.
La prévention du suicide constitue le premier axe de votre feuille de route. Quelles mesures proposez-vous ?
La France a un taux de suicide trop important. Nous avons repris des dispositifs qui ont fait leur preuve ailleurs. On va commencer dans le milieu scolaire et étudiant à former les jeunes aux premiers secours en santé mentale afin qu'ils puissent repérer les signes de troubles psychiques et alerter les bonnes personnes qui pourront intervenir précocement. Nous voulons aussi développer l'information grand public sur la santé mentale et sur l'importance de repérer et signaler.
On va optimiser ce qui existe en termes de repérage et d'écoute de la souffrance psychique des jeunes (11-21 ans), grâce aux expérimentations « Écout'émoi », qui proposent aux familles et professionnels des plaquettes d'information et un dispositif de suivi. Sur la prévention du suicide, on développe le dispositif vigilanS, qui vise à recontacter les personnes qui ont fait des tentatives de suicide.
Vous vous êtes engagée à lutter contre les inégalités sociales de santé et à porter une attention soutenue aux plus vulnérables. Comment cela se traduit-il en santé mentale ?
Le panel de personnes concernées par la vulnérabilité est extrêmement important ; les dispositifs sont multiples.
Pour les femmes, les enfants, et le psycho-trauma au sens large, dix centres de prise en charge du psychotraumatisme seront créés en France en 2018-2019, dans dix hôpitaux – un appel à projet a été lancé. Cela permettra d'avoir de bonnes pratiques partagées et des suivis renforcés. Les médecins pourront leur adresser des patients, mais aussi obtenir des conseils. Ces centres pourront aussi prendre en charge des migrants victimes d'un psycho-traumatisme au cours de leur parcours.
Quid de la santé mentale en prison ?
La prison est un monde à part. Des prises en charge sont prévues dans un plan élaboré par la direction générale de la santé en avril 2017 qui est coordonné avec le ministère de la justice. L'évaluation de la première tranche des unités hospitalières spécialement aménagée (UHSA) est en cours, et nous lançons la construction de la deuxième tranche.
Comment réduire les inégalités territoriales d'accès aux soins ?
Chaque territoire doit se doter d'un projet de santé mentale, auquel participent tous les acteurs de l'organisation territoriale – les psychiatres, généralistes, associations de patients, psychologues, travailleurs sociaux, assistantes sociales, établissements.
Cela permettra d'organiser les parcours de soins. Car aujourd'hui l'offre de santé mentale est dispersée. Elle est certes territorialisée avec la sectorisation mais il n'y a pas toujours de coordination (notamment entre psychiatres libéraux et établissements). Il faut une prise en charge globale de la personne sur le territoire car le trouble psychique entraîne souvent une désocialisation, parfois une perte de travail.
Comment comptez-vous développer les soins somatiques en santé mentale ?
La santé mentale et la psychiatrie sont trop à l'écart de la médecine somatique. Beaucoup d'établissements psychiatriques ont refusé de rentrer dans des groupements hospitaliers de territoire (GHT) ; je trouve cela anormal ! Il faut favoriser les liens entre médecine somatique et psychique, dans le cadre d'une vision moderne de la santé, définie comme un bien-être global de la personne dans son environnement.
Tous les établissements de santé mentale seront intégrés aux GHT, avec des projets partagés. Je veux favoriser une vision moderne de la psychiatrie. Elle doit répondre aux mêmes types d'évaluation et avoir les mêmes exigences de pratiques et de résultats que les autres disciplines. Pour avoir assisté à la certification des établissements de santé mentale, en tant que présidente de la HAS, on voit que les pratiques sont hétérogènes sur le territoire. Ça ne peut plus durer.
Faut-il lier la certification des établissements au respect des recommandations de bonnes pratiques de la HAS ?
Oui, c'est en train de se mettre en place. La nouvelle version de la certification en 2019 aura un regard plus médical sur le respect des bonnes pratiques. Les recommandations existantes seront identifiées dans une bibliothèque numérique gérée par la HAS. La HAS valorisera les établissements qui les respectent. Elle doit par ailleurs compléter son corpus de recommandations sur la santé mentale.
Vous avez annoncé un stage obligatoire de psychiatrie ou de santé mentale pour 100 % des généralistes durant leur formation. Quel est le calendrier ?
Je voudrais promouvoir l'accès à des stages de formation en psychiatrie pour tous les étudiants en 2e et 3e cycle. J'ai dit au congrès de l'Encéphale que je voulais rendre le stage obligatoire pour tous les internes en médecine générale parce que les généralistes se sentent parfois démunis face aux troubles psychiques. Mais aujourd'hui, nous n'avons pas suffisamment de lieux de stages. Il y a un vrai travail à faire avec les doyens pour bien identifier les lieux de formation pour ces externes et ces internes. Par ailleurs, une réflexion est en cours sur la révision de la maquette de formation en psychiatrie. Un comité de suivi se réunit en septembre.
L'an prochain enfin, nous travaillerons sur les pratiques avancées en psychiatrie.
La pédopsychiatrie est en grande souffrance. Vous avez fixé l'objectif d'au moins un PU-PH en pédopsychiatrie par faculté. Est-il atteint ?
La pédopsychiatrie est une discipline trop délaissée. Nous pensons que l'objectif sera atteint d'ici 3 à 4 ans. Deux postes de PU-PH ont été créés cette année ainsi que 10 postes de chefs de clinique pour développer la recherche, notamment sur l'autisme.
Vous souhaitez préserver le budget psychiatrie au sein des GHT et des hôpitaux généraux. Une réforme du financement de l'hôpital est imminente. Quels sont vos arbitrages pour la psychiatrie ?
Cette discipline fait l'objet d'une tarification à part. Je veux que la nouvelle tarification valorise les bonnes pratiques. Il est hors de question d'aller vers la tarification à l'activité. Mais il faut faire en sorte que les établissements de santé mentale soient incités à s'inscrire dans des démarches de qualité. Nous travaillons à des modes de tarification spécifique. J'ai demandé aux ARS de sanctuariser les budgets. C'est la première étape.
Une mission au sein du ministère travaille sur les tarifications innovantes en psychiatrie et me fera des propositions. Il y aura une augmentation des budgets si on me montre que cela améliorerait la prise en charge des patients. La tarification doit inciter au parcours de soins et à la coordination entre professionnels, au-delà des psychiatres.
Comment valoriser la pédopsychiatrie et la psychiatrie en ville ?
Nous souhaitons développer la pédopsychiatrie de ville, aujourd'hui mal tarifée ; une réflexion est en cours. Concernant les généralistes, il n'y a pas encore eu de signature de convention sur les consultations complexes en psychiatrie. Nous avons demandé un travail spécifique pour bien les définir avant de les valoriser. L'idée est d'intégrer complètement les généralistes aux prises en charge de santé mentale avec une formation et une valorisation du temps médical.
Que répondez-vous aux psychiatres qui s'élèvent contre le décret du 23 mai concernant le fichier Hopsyweb ?
Ce fichier existe depuis 1994. Il permet aux préfectures d'interroger ce fichier via les ARS en cas de demande de permis de port d'armes uniquement. Il avait une existence légale sur la base d'un arrêté. On a changé, c'est désormais un décret en conseil d'État, vu par la CNIL. Ceci permet d'assurer qu'aucune évolution ne sera apportée qui ne respecte la loi notamment en termes de secret médical et qu'aucune évolution ne pourra se faire sans que la CNIL et le Conseil d'État ne soient préalablement saisis. Ce décret a deux nouvelles caractéristiques : les données sont conservées trois ans et non plus une. D'autre part, le fichier devient national (et non départemental). Son périmètre (les noms transférés dans le fichier) est identique ; le fichier reste géré par les médecins des ARS.
Pour rebondir sur des polémiques actuelles, comment allez-vous faire fermer les coffee-shops ?
L'objectif est plutôt qu'ils ne vendent pas de produits illicites. Avec la MILDECA, nous travaillons avec la douane, la police et la DGCCRF pour mettre en place des contrôles et vérifier que ces produits ne contiennent pas de stupéfiants. Si les coffee-shops veulent vendre du café, il n'y a pas de problème !
*Parmi les membres figurent la Fnapsy, l'Unafam, les GEM, les collectivités locales, MDM, la Croix-Rouge, Santé mentale France, le CMG, la FFA, les infirmiers et les psychologues, le CNU, des psychiatres hospitaliers (Pr Raphaël Gaillard, Pr Marie-Rose Moro, Dr Cyril Hazif Thomas) et libéraux (Dr Maurice Bensoussan), le comité de pilotage de la psychiatrie, la FHF, FHP, FEHAP, la DGS, DGOS, DGCS...
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