LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Pourquoi un livre manifeste sur l’humanisation de la santé ?
Pr Jean-François Mattei - Nous pensons que c’était le moment de rappeler qu’un médecin doit d’abord être un humaniste même s’il doit être aussi un scientifique. Tous les sujets abordés dans ce livre, le sont avec la préoccupation commune de mettre la personne au centre. Les malades ont besoin de trouver en face d’eux non seulement un praticien, quelqu’un qui sait, mais aussi quelqu’un qui est capable d’établir un échange, d’écouter, de comprendre, de respecter et de ne pas se réfugier forcément derrière des mots techniques, des examens complémentaires ou une prescription.
Vous dressez un portrait assez terrible de la médecine actuelle ?
La médecine est de plus en plus morcelée. La désignation il y a quelques années, d’un référent pour que chaque patient ait un médecin, était une première réaction à ce morcellement. Les médecins sont de plus en plus des médecins d’organes et quelque fois même d’une partie d’un organe, en cardiologie, en ophtalmologie ou dans d’autres spécialités. Or la personne, elle, se déplace toujours dans son entier avec sa psychologie, ses problèmes, son vécu et ses émotions.
L’ouvrage propose un retour aux humanités. Pouvez-vous préciser ?
En 1996 j’avais fait un premier rapport au ministre de la Santé et de l’Éducation nationale sur la réforme des études médicales. Aujourd’hui il y a d’avantage d’éthique, davantage de sciences humaines et sociales. Néanmoins les jeunes médecins disent presque tous que les premières années d’installation sont celles où ils apprennent tout ce qu’ils n’ont pas appris à la fac et qu’ils auraient dû apprendre : la façon de dire bonjour, la façon d’entamer une conversation, la façon de dialoguer, d’écouter, d’être humain tout simplement. La très grande majorité des étudiants en médecine vient encore des sections scientifiques du baccalauréat. Je trouve assez invraisemblable que nos futurs psychiatres soient issus de ces sections.
Le livre se veut un livre manifeste pour sensibiliser les pouvoirs publics et faire évoluer la prise en charge des malades. Pensez-vous que vos recommandations seront suivies ?
Aujourd’hui, le numerus clausus va augmenter, il y a déjà eu une réforme de l’enseignement. Cela ne suffit pas. Il faut revoir l’enseignement de la première et peut-être même de la deuxième année. Il faut que la philosophie au sens vrai du terme, et pour certaines spécialités confrontées en permanence à la mort, la métaphysique, soient présentes. Le médecin doit comprendre qu’il est un médiateur. L’homme a besoin de médiateurs. Il a besoin de médiateur entre lui et dieu - les religieux - mais il a aussi besoin d’un médiateur entre lui et son corps, entre lui et sa souffrance. Le médecin doit assumer cette fonction. Et quand il ne le fait pas ou pas assez, alors se développent les gourous, les sectes et les médecines parallèles.
Vous avez été ministre de la Santé, y a t-il des mesures que vous auriez aimer prendre ?
Le ministre de la Santé, doit gérer au quotidien des problèmes trop souvent techniques, urgents et financiers. Un ministre de la santé médecin continue d’être médecin en n’étant plus ministre. Il est un peu déchargé des obligations quelquefois extrêmement contraignantes de la charge ministérielle et il peut revenir à la réflexion et aux fondamentaux. Ce que je crois aujourd’hui, et c’est l’enseignement de mon ministère, c’est qu’il est indispensable d’associer le sanitaire et le social. Ils doivent œuvrer ensemble : cela ne veut pas dire qu’il faille les confondre mais il faut les amener à travailler ensemble. On voit bien qu’on ne prend pas en charge une personne âgée sur le plan seulement médical mais aussi social. Les hôpitaux sont des structures merveilleuses mais elles sont centrées sur la maladie et pas toujours sur le malade. On ne peut pas séparer les deux.
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