ENVIRON 600 000 personnes vivent en maison de retraite. Le taux de signalement officiel de maltraitance ne serait « que » d’environ 5 % (plus de 30 000 personnes tout de même). En réalité, l’ampleur du fléau est méconnue : 1 % si l’on considère les sévices physiques graves, 20 % si l’on prend en compte l’inadaptation de la prise en charge, estime un spécialiste du domaine. François Nénin a longuement enquêté sur cette maltraitance institutionnelle en France et cherché, non sans mal parfois, à entendre tous les acteurs de ce commerce de la dépendance, qui ne fait que croître. De nombreuses institutions respectent leurs pensionnaires, bien sûr, mais il est indispensable de faire connaître celles qui ne le font pas tant les explications des dysfonctionnements peuvent être partagées par toutes.
Du dentier non lavé aux manipulations brutales en passant par l’isolement, l’infantilisation et mille autres brimades physiques ou psychologiques : le catalogue fait froid dans le dos. Il scandalise le citoyen quand, de temps en temps, il fait la une des journaux, puis retourne au silence et à donc à l’impunité. Pas vu, pas pris. La famille, quand elle existe et ose se plaindre, a du mal à se faire entendre. Entre chantage à la résiliation du contrat pour « incompatibilité à la vie en collectivité », craintes de voir la vengeance se reporter sur leur proche maltraité, manque de places dans les structures pour les personnes âgées, arme redoutable pour les institutions, et manque de moyens d’action, les plaintes restent souvent lettre morte.
Le sous-effectif en personnel, rendement oblige, doublé d’une insuffisance de compétence et de formation, est le principal ingrédient de cette maltraitance, montre Francois Nénin, témoignages et chiffres à l’appui. Le taux d’encadrement moyen, inférieur en France à ceux de nombreux pays européens, est de 4,5 agents (soins, administratif, logistique) pour 10 lits ; il est de 8/9 agents en Allemagne. Les aides-soignantes, chevilles essentielles de la bientraitance, gagnent entre 1 000 et 1 500 euros nets/mois pour un travail souvent peu gratifiant compte tenu de la charge de travail ; y compris dans les établissements à but lucratif qui demandent à leurs pensionnaires 5 000 euros par mois. Le fameux burnout fait ainsi insidieusement mais sûrement le lit de la maltraitance, même pour les plus consciencieux de ces auxiliaires.
Un marché très rentable.
Quelques grands groupes privés se partagent cet excellent marché, où le retour sur investissement est quasi garanti avec une rentabilité de 25 % et où la demande excède encore largement l’offre. Un marché, qui plus est, à très forte et exceptionnelle visibilité, soulignent les financiers : de 20 à 25 % des plus de 85 ans souffrent de dépendance. Les investisseurs n’ont donc aucune raison de lésiner sur le marketing pour attirer des familles dépassées par la dépendance de leurs aînés et des pensionnaires définitivement solvables ! Le secteur public, quant à lui, encore en partie protégé, est également menacé par des contraintes économiques croissantes. Hormis les familles éprouvées, personne n’a intérêt à contester le fonctionnement de cet eldorado où chacun espère avoir une part du gâteau.
Un grabataire assommé par les psychotropes vaut mieux qu’un dément turbulent et ce, particulièrement dans les structures en sous-effectif. Même si la surmédication est classée comme acte de maltraitance dans les documents officiels. De surcroît, un grabataire rapporte plus de subventions à l’institution qu’un vieillard autonome : raison de plus pour mettre des protections à tout le monde, incontinence ou pas, raconte Sophie Lapart. D’autant plus facilement que l’invalidité complète et l’impotence ne durent jamais longtemps : la durée de vie en maison de retraite est courte, trois ans pour les femmes et deux pour les hommes. Et chaque changement de pensionnaire peut être l’occasion de revoir le tarif de la pension ! Le cynisme institutionnel détaillé par François Nénin est sans limite...
Ce livre a été difficile et douloureux à écrire, souligne l’auteur, mais « il fallait le faire pour démontrer l’ampleur du phénomène, l’indifférence de la société et la complaisance des pouvoirs publics face à ce génocide silencieux », alors que des solutions sont possibles pour que cesse ce scandale déshonorant pour tout le monde.
« L’Or gris », François Nénin avec Sophie Lapart, Flammarion/Enquête, 300 p., 20 euros.
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