Cinq ans après la loi sur la prostitution, MDM dénonce une approche nocive sur le plan sanitaire

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Publié le 12/04/2021

Crédit photo : AFP

Cinq ans après le vote de la loi « visant à lutter contre système prostitutionnel », le 13 avril 2016, Médecins du monde (MDM) et les associations de santé communautaire dénoncent encore et toujours ses effets contreproductifs et néfastes pour la santé des travailleuses et travailleurs du sexe (TDS). Effets qui ne cessent de s'aggraver dans le contexte de la crise liée au Covid-19, alertent-elles.

Contrairement au Mouvement du nid (abolitionniste) ou à l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) qui saluent un changement culturel malgré l'insuffisance des moyens, MDM et les associations s'insurgent contre la nature même de la loi et de ses deux volets : la pénalisation des clients et la mise en place d'un parcours de sortie de la prostitution.

Violences, précarisation et pratiques à risque

La pénalisation des clients s'est traduite par une augmentation des violences à l'encontre des TDS. Dès 2018, l'enquête de la chercheuse Hélène Le Bail (Sciences Po-CERI, CNRS) et du sociologue Calogero Giametta, montrait que dans un contexte de raréfaction des clients, 38 % des prostitué(e)s avaient plus de difficultés à imposer le préservatif et plus de 42 % se sentaient plus exposées aux violences. « Nous avons constaté une forte augmentation des faits de violences rapportés ces quatre dernières années. Ces agressions ont atteint cette année un degré de violence rarement vu : viols en série, tentatives de meurtre, agressions au couteau… », dénonce à partir du terrain, l’association Cabiria à Lyon.

Antoine Baudry, animateur de prévention à Cabiria, mentionne aussi les violences institutionnelles qui fragilisent les TDS, comme des refus de dépôt de plainte, ou les arrêtés anti-camionnettes de certaines municipalités (à Lyon et Paris, entre 1 300 et 1 700 PV auraient sanctionné des TDS ces deux dernières années, selon Antoine Baudry).

Conséquences : les TDS connaissent une précarisation accrue qui les conduit à sacrifier leur santé, en acceptant des pratiques à risque et en négligeant la prévention. « "Ma priorité n'est pas ma santé, mais de gagner de l'argent pour moi et mon enfant" m'a répondu une TDS », rapporte Teodora Niculescu, pair intervenante au sein de l'association nantaise Paloma, qui observe une baisse de fréquentation du Ceggid (Centre gratuit d’information, de dépistage et de diagnostic du VIH et des IST) et davantage de ruptures de traitement chez les personnes séropositives.

Accompagner sans parcours imposé

Quant au parcours de sortie de la prostitution, qui consiste en une allocation de 330 euros mensuels, un titre de séjour de six mois renouvelable trois fois et un accompagnement socioprofessionnel, le « dispositif est une intrusion dans la vie des femmes », cingle June Charlot, chargé de projet au sein de l'association Grisélidis, à Toulouse. Comme MDM ou les autres associations communautaires, Grisélidis dénonce les conditions qui ouvrent droit à ce parcours : arrêt du travail sexuel, passage en commission tous les 6 mois pour renouveler le titre de séjour…

« Les critères changent selon les départements, en Haute-Garonne, un acte de naissance authentifié est désormais nécessaire : c'est demander aux femmes nigérianes de reprendre contact avec les réseaux de traite par lesquels elles sont passées », déplore June Charlot. Au final, les personnes qui y ont eu accès depuis 2017 seraient au nombre de 564, bien en deçà du millier prévu par les autorités pour l'année 2017 (sur 20 000 à 40 000 TDS en France). Et 20 départements ne se sont pas encore dotés d'une commission ad hoc.

« Nous ne demandons pas plus d'argent pour ce parcours dont nous ne voulons pas car il n'est pas à la hauteur des enjeux. Mais nous souhaitons davantage de moyens pour accompagner les personnes au cas par cas, dans leur temporalité, selon leurs besoins », a précisé Irène Aboudaram, responsable de plaidoyer pour MDM.

Plaidoyer pour une action interministérielle

Le contexte épidémique n'a fait qu'empirer les choses, constatent les acteurs de terrain. « Lors du premier confinement, l'activité s'est arrêtée du jour au lendemain. En l'absence du soutien des pouvoirs publics, l'on a mis en place une permanence et une distribution alimentaire, mais l'on voit aujourd'hui les personnes s'enfoncer dans la précarité extrême, avec des dettes de loyer, voire la perte du logement », témoigne June Charlot, en faisant part de son inquiétude pour la santé mentale. Les confinements ont en outre accéléré le développement de la prostitution dans les lieux privatifs (hôtel, appartement), avec comme conséquence une protection et prévention encore plus difficiles à assurer.

« Nous demandons aujourd'hui au ministère de la Santé de se réapproprier le sujet de la prostitution qui n'est pour l'instant appréhendée que sous le prisme égalité femmes- hommes. Il faut un dialogue interministériel pour s'attaquer à tous les aspects de la question : santé, précarité, migration, sécurité… », explique Irène Aboudaram. Et d'appeler à « sortir d'une vision idéologique, qui conditionne aussi les financements des associations », conclut-elle.


Source : lequotidiendumedecin.fr