CONTRIBUTION - La situation actuelle, considérée à juste titre comme exceptionnelle, aura des répercussions sanitaires et économiques mondiales. Le bilan des conséquences sanitaires et des conséquences économiques et sociales sera fait ultérieurement, mais cette crise aura révélé une véritable révolution : notre capacité collective à faire passer la protection de la vie des individus, qui plus est des plus âgés et des plus fragiles, avant le reste.
Si l’on compare avec l’une des dernières pandémies, la grippe de Hong Kong de 1968-1969 et début 70, qui avait fait plus de 25 000 morts en France en décembre 1969, 50 000 morts en 3 mois aux États-Unis et, toujours selon l’OMS, 1 million de morts dans le monde, si des activités avaient été ralenties, c’était en raison du nombre de personnes dans l’incapacité temporaire de travailler (jusqu’à 30 % dans certains secteurs) mais pas en raison d’un quelconque confinement imposé.
Ce mois de décembre 1969, jeune médecin, j’effectuais un remplacement en médecine générale en Haute Saône. Je voyais alors 40 à 50 patients par jour, la plupart avec une grippe sévère, mais je n’ai jamais eu sur le moment la perception des conséquences sanitaires que l’on ne découvrira que beaucoup plus tard, en 2003. Ni le ministre de la Santé, ni le premier ministre ni le président de l’époque, tous trois nouvellement entrés en fonction n’avaient semblé être préoccupés par cette épidémie. On dit qu’il y a eu en tout et pour tout trois courts articles dans Le Monde pendant ces 2 mois…
Même si le bilan sanitaire de l’épidémie actuelle, au moins sa 1re vague, sera peut-être peu différent de celui de cette grippe de Hong-Kong, grâce au confinement actuel généralisé, on ne peut que se féliciter que 50 ans plus tard, la vie humaine soit devenue la première préoccupation de la majorité des dirigeants du monde (parfois un peu contraints) et qu’un confinement, inimaginable il y a encore quelques mois, soit accepté par la majorité des populations, même s’il est difficile voire impossible à mettre en œuvre dans certaines régions du monde.
La France pas assez préparée, mais mieux armée que d'autres
À ce stade, quelques constats peuvent être faits.
En France, les hôpitaux ont su réagir rapidement en concentrant leurs moyens par redéploiement interne et en bénéficiant aux moments critiques de l’aide d’autres régions en France et chez nos voisins pour assurer les réanimations nécessaires et en s’adaptant le moins mal possible à l’impréparation grâce à l’engagement remarquable des personnels. À l’évidence, personne n’était suffisamment préparé, en France comme ailleurs, à faire face à une demande aussi explosive.
En Afrique, malgré le fait que cette pandémie s’y installe après tous les autres continents et plus progressivement, elle met à rude épreuve des systèmes de santé déjà affaiblis par le contexte économique et politique. En pratique, le choix peut être vite fait pour certaines populations entre ne plus accéder à la nourriture et trouver son pain au dehors, souvent dans le secteur informel, ou affronter un virus invisible.
L’importance et les conséquences sanitaires directes de l’épidémie sont encore incertaines, et on peut les espérer moindres qu’ailleurs. Mais les conséquences indirectes sont déjà visibles. Par exemple, à Ouagadougou depuis la mise en quarantaine de la ville, les enfants atteints de cancer ne peuvent plus accéder au seul service pouvant les prendre en charge. Il est certain que les conséquences refléteront, comme ailleurs dans le monde, les inégalités sociales, les plus pauvres payant le plus lourd tribut.
L'OMS impuissante et pas indépendante
Les réactions des pays à cette crise sanitaire mondiale ont été très individuelles et rapidement individualistes chacun se refermant sur son pré carré, à l’intérieur de frontières renforcées, sans aucune coordination internationale et les rivalités et déclarations partisanes reprennent de plus belle. L’OMS a montré de façon criante son manque d’indépendance politique et son impuissance structurelle à être reconnue comme coordonnatrice de la réponse à la pandémie. Ce constat fait, lui supprimer ses ressources n’est sûrement pas la bonne réponse.
Et après ? Plus rien ne sera comme avant, nous dit-on. Chiche ! L’économie mondiale et les économies des pays riches s’en remettront avec le temps. Les populations qui le peuvent seront largement mises à contribution. Les autres, les plus pauvres auront plus de mal et en souffriront durablement.
Mes activités depuis 10 ans m’ont porté très régulièrement en Chine et en Afrique sub-saharienne. Si la Chine se relèvera rapidement, nul doute que l’on peut être inquiet pour cette partie du continent africain autant en ce qui concerne les conséquences sanitaires directes et indirectes qu’économiques. Et ce ne sont pas les mesures de réduction ou de simple report de la dette qui régleront durablement les conséquences redoutées.
Faisons de la situation actuelle une opportunité
Rêvons… Et utilisons la situation actuelle comme une opportunité pour des changements radicaux. Profitons de cette situation sans précédent pour développer une mondialisation vertueuse en se dotant, enfin, d’outils solides et pérennes permettant les nécessaires adaptations aux futures crises que l’on ne sait pas prédire mais qui, quelles qu’elles soient, nécessiteront réactivité et coordination au niveau planétaire.
Renforçons l’OMS et par conséquent l’ONU en réformant profondément ces instances et d’abord le droit de veto, frein actuel à toute action intelligente et réfléchie, en leur donnant les moyens d’une réelle indépendance politique et un vrai pouvoir de faire.
Pour cela, utilisons une partie des dépenses militaires de l’ensemble des pays – qui ont été de 1 822 milliards de dollars en 2018 (selon le SIPRI) avec une augmentation rapide mortifère attendue après la dénonciation récente de traités de non-prolifération - pour doter l’ONU d’une réelle force militaire mettant la planète à l’abri des tentations des extrémistes et loufoques de tout poil et limitant ainsi le risque d’autres catastrophes qui nous menacent et qui pourraient être d’une tout autre ampleur. Et utilisons le reste dans chacun des pays au profit de l’éducation, de la formation et de la recherche, la crise actuelle ayant révélé combien la principale richesse des pays est représentée par les compétences des femmes et des hommes.
Utopie ? Sans doute pour bon nombre des dirigeants actuels prisonniers de considérations politiques à court terme qu’ils jugent prioritaires. Or ils viennent de démontrer, du moins la plupart d’entre eux, qu’ils étaient capables de mettre la défense de la vie humaine avant tout le reste, « Quoi qu’il en coûte ». Alors, aidons-les à faire un grand pas de plus en amplifiant la pression des populations pour exiger des changements réels et contribuons ainsi à des lendemains qui chantent un peu plus pour tous.
Cette contribution n’a pas été rédigée par un membre de la rédaction du « Quotidien » mais par un intervenant extérieur. Nous publions régulièrement des textes signés par des médecins, chercheurs, intellectuels ou autres, afin d’alimenter le débat d’idées. Si vous souhaitez vous aussi envoyer une contribution ou un courrier à la rédaction, vous pouvez l’adresser à jean.paillard@lequotidiendumedecin.fr.
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