Avec la crise sanitaire, les hospitaliers sont confrontés à la mort massive de patients isolés. Et cela n'est pas sans conséquence pour leur santé mentale : anxiété, dépressions, troubles du sommeil, stress aigu ou post-traumatique sont rapportés depuis le début de la pandémie. Les chiffres sont élevés, de l'ordre de 30 % pour l'anxiodépression et de plus de 50 % pour le stress aigu lors de la première vague, selon une méta-analyse de l’AP-HP et de la fondation FondaMental.
Au-delà de l’ampleur de l’épidémie avec plus de 100 000 décès et de sa durée de plus d’un an, les soignants ont dû faire face à l’incertitude face à une maladie encore mal connue lors de la première vague. Une situation « inédite en termes de traumatisme psychique, avec des soignants qui se sont notamment astreints à de longs temps de désinfection », selon le Pr Michel Lejoyeux, psychiatre et addictologue (hôpitaux Bichat et Beaujon, AP-HP, 22e secteur de psychiatrie rattaché au groupe hospitalier de Paris, Université de Paris).
Le choc de la première vague
Mais surtout, la mort est survenue là où elle n’intervient généralement pas ou très peu. À l’hôpital, « des unités dédiées aux patients atteints de Covid ont été créées dans des services qui n’ont pas l’habitude de prendre en charge des patients en fin de vie. Les soignants ont été brutalement confrontés à la mort au quotidien alors qu’ils ne s’y attendaient pas et n’y étaient pas préparés », souligne la Dr Ségolène Perruchio du centre hospitalier Rives de Seine (Hauts-de-Seine) et vice-présidente de la Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP), qui a créé des fiches pratiques pour accompagner les soignants peu familiers avec les pratiques de soins palliatifs.
Selon elle, notre société, soignants compris, a peur de la mort et tend à l’éloigner. Or, « un soignant va forcément être confronté à la mort. Ça fait partie de notre mission : il n’y a pas que la médecine qui guérit, il y a aussi la médecine qui soigne. Cela doit nous faire réfléchir », estime-t-elle. Pour les soignants confrontés soudainement à la mort massive, la crise a pu provoquer un « sentiment d’étrangeté ou d’incompétence », ajoute le Pr Lejoyeux.
Les décès sont par ailleurs survenus de manière brutale. « Les soignants ont assisté à des décompensations inattendues de patients qui a priori n’étaient pas particulièrement à risque. Ils ont été plongés dans l’imprévisible, ce qui les a laissés désemparés », rappelle le psychiatre. Les fins de vie de personnes isolées, dans un contexte d’interdiction des visites, ont par ailleurs tiraillé les soignants « entre l’envie d’une fin de vie avec l’entourage et les contraintes sanitaires », analyse-t-il, observant de « vrais états de stress post-traumatique après les décès brutaux de patients jeunes et isolés qui pourront être l’objet d’images traumatiques répétées ».
Inventivité et solidarité comme remèdes
Malgré le contexte, les soignants se sont mobilisés pour pallier l’absence de visites avec des appels en visio pour maintenir le lien avec les familles ou des services téléphoniques pour leur répondre et donner des nouvelles. « Plein de choses ont été inventées et une réflexion est née chez ceux qui n’étaient pas habituellement confrontés à la mort, sur la place des familles, sur leur place de soignant et sur l’humanité des prises en charge », témoigne la Dr Perruchio. La période a aussi été l’occasion d’une « solidarité remarquable » : « c’est tout un hôpital en ordre de marche avec un seul objectif qui a permis de réaliser tout ce qui a été fait », assure la vice-présidente de la SFAP.
Si le collectif a joué un rôle important, les individus ont aussi expérimenté, face à cette mort massive de patients isolés, un « effet d’anesthésie pour supporter les morts », une « forme de robotisation du soin » : « sur le moment, les soignants ont assumé. Malgré l’angoisse, ils ont fait leur travail, explique le Pr Amine Benyamina, chef du service de psychiatrie et d'addictologie de l'hôpital Paul-Brousse (AP-HP), qui a mis en place un service de soutien pendant la crise. C’est après coup que l’on voit le retour de cet investissement, auquel s’ajoutent la déception issue du Ségur de la santé, la déception de voir que le Covid est toujours là et celle de voir la société habituée à la situation - les soignants ne sont plus applaudis à 20 heures ».
Depuis la première vague, un soutien psychologique a été proposé aux soignants, sous la forme de lignes d’écoute, de visites régulières de psychologues dans les services, de groupes de soutien ou de retours d’expérience collectifs. Au fil des vagues successives, les réactions ont évolué. « Dans les paroles recueillies par la hot-line de l’AP-HP, on est passé d’une réaction de stupeur inquiète à une réaction relevant de plus en plus du champ de l’épuisement », rapporte le Pr Lejoyeux, rappelant que les dépressions et les décompensations psychiatriques surviennent sur des terrains de vulnérabilité.
Soigner les soignants
Conséquence de cet épuisement, certains soignants apparaissent démotivés et affectés par l’absence de visibilité sur un retour à la normale à court terme. « La situation est tellement traumatique, traumatisante et sans repères, que de nombreux jeunes (internes ou infirmières) s’interrogent sur leur carrière », alerte le psychiatre, plaidant pour une approche globale de la prévention portant sur la « précarité soignante » (les deuils à répétition) et sur la précarité professionnelle. « On revient aux fondamentaux dans ce type de crises : avoir une équipe complète, sans postes vacants qui empêchent la prise de congés, avoir des étudiants qui ont le temps de passer leurs examens, etc. Tout ça va procéder de la protection mentale des soignants », estime-t-il.
Pour la Dr Perruchio, la crise pourrait être l’occasion de poursuivre les progrès réalisés dans les soins palliatifs depuis 40 ans, soulignant l’importance de la formation. « Il faut remettre la mort au sein de nos prises en charge de la fin de vie. Les réflexions nées pendant la crise ne doivent pas s’arrêter : comment accompagne-t-on la fin de vie ? Les patients, mais aussi les familles ? », interroge-t-elle.
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation