LES HISTOIRES des lanceurs d’alerte se répètent. Scientifiques ou médecins, seuls ou entourés d’une équipe, ils ont émis des hypothèses dérangeantes. Ils ont alerté les autorités compétentes et publié, auprès des instances reconnues, leurs études. Ils se sont heurtés à un épais silence.
C’est en 2007 que le Dr Christian Marinetti, chirurgien esthétique, observe dans sa clinique de Marseille la rupture d’un implant mammaire de la marque PIP. Il fait un signalement au fabricant et à l’Agence française de sécurité sanitaire (AFSSAPS, ex-Agence nationale de sécurité du médicament, ANSM). D’autres ruptures interviennent les mois suivants, puis l’année suivante. Le Dr Marinetti multiplie les déclarations, les coups de fil et les mails à l’AFSSAPS, jusqu’à un recommandé en 2009 au directeur général Jean Marimbert. Aucune réponse. En 2010, le Dr Marinetti gronde dans un courrier : « Je vous tiendrai personnellement responsable » d’un scandale, écrit-il au feutre rouge. Ce n’est qu’une quinzaine de jours après que l’AFSSAPS se mettra en branle. « J’ai voulu passer par ma hiérarchie normale. Mais ce fut lent », constate le chirurgien esthétique. Pas moins de 3 ans.
Avant la création de l’AFSSAPS, en 1999, les chercheurs pouvaient attendre des dizaines d’années, et être la proie de pressions de toutes parts. En 1994, André Cicolella, chercheur à l’Institut national de recherche et de sécurité (INRS), organise un colloque international sur l’éther de glycol : l’aboutissement de 3 ans de recherches qui confirmaient l’existence de substances tératogènes. Son institut le licencie 15 jours avant pour insubordination, l’événement scientifique est annulé. « Aujourd’hui, une petite dizaine de substances contenant de l’éther de glycol est inscrite dans la liste prioritaire du programme REACH*... Sur la base des données que j’étudiais alors. Vingt ans de perdus », observe le chercheur, qui a co-fondé le Réseau Environnement santé (RES) en 2009 avec le Dr Laurent Chevallier. Ce spécialiste en nutrition subissait des pressions des industriels, à la suite de ses propos sur des additifs alimentaires.
Le bruit des médias.
« Si rien ne s’était passé fin 2010, j’aurais alerté les médias. A posteriori, je me dis que ça aurait été plus efficace », confie au « Quotidien » le Dr Marinetti. De fait, en dénonçant sur M6 la toxicité de l’antiacnéique Érythromycine, André Cicolella a suscité la réaction de la direction générale de la santé qui l’a fait interdire dans la foulée en 1996.
Mais les lanceurs d’alerte se défendent de vouloir provoquer une tempête médiatique. Depuis 1992, Pierre Méneton, travaille à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM) sur l’hypertension artérielle. L’influence néfaste de l’excès de sel est bien connue : des expertises sont conduites depuis les années 1970 alors qu’aux États-Unis de premières recommandations sont publiées. Avec le Pr Joël Ménard, ils interpellent en 2000 l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments (AFSSA). « Elle était nouvellement créée et noyautée par le secteur alimentaire. Ca n’a pas abouti. Nous avons diffusé notre dossier à qui était susceptible de s’y intéresser. Ce fut le magazine la Recherche, puis Le Point en 2001 », raconte le Pr Meneton.
Les scientifiques ont conscience des biais qu’introduit un emballement médiatique incontrôlé. Interrogé sur le « buzz » créé autour de l’étude du Pr Gilles-Éric Séralini, Pierre Méneton explique : « Les journalistes collent trop à la publication d’études individuelles et cela crée de la cacophonie. Une étude, quelle que soit sa qualité, ne suffit pas. ».
Le Pr Bernard Bégaud parle, lui, d’« éthique » du scientifique. « On ne doit pas rechercher le scoop pour le scoop, l’information est d’abord réservée à la communauté scientifique à travers les revues scientifiques ». Le pharmacologue avait annoncé à l’AFSSAPS la publication à venir dans le « British Medical Journal » de son étude sur la relation entre benzodiazépines et Alzheimer. Si certaines de ses conclusions ont fuité dans « Sciences et Avenir » avant, il s’est gardé de courir les plateaux télé.
Faillite des Agences
Mieux vaut trop de bruit pour rien que des milliers de morts liés à l’immobilisme des agences traditionnelles, estiment en substance les lanceurs d’alerte.
Le Dr Laurent Chevallier se bat pour faire reconnaître les doutes sur l’aspartame : il pourrait être notamment responsable d’accouchements prématurés chez des femmes consommant à partir un soda gazeux light par jour. « Nous ne cherchons pas à faire peur. Le doute doit profiter à la population. L’alerte devrait toujours être intégrée comme élément important de l’expertise et non être rejetée ou minimisée. Il faut toujours évaluer le bénéfice par rapport au risque. En l’occurrence, il n’y a pas de bénéfice démontré », explique-t-il. « Nous ne pouvons pas dire à nos patients : revenez dans 10 ans, nous aurons plus de preuves », poursuit le médecin. Et de souligner qu’en toxicologie, on se base parfois sur des normes obsolètes datant de plus de trente ans.
Les yeux de certaines agences commencent néanmoins à se dessiller. L’ANSES**. L’agence a créé sa commission de déontologie et des comités qui peuvent auditionner d’éventuels lanceurs d’alertes. Le directeur général Marc Mortureux y voit un moyen d’anticiper l’urgence médiatique, qui n’est pas le temps de la science. « Nous faisons tout pour être à l’écoute des attentes de la société y compris des lanceurs d’alerte et ainsi être en capacité de détecter des signaux émergents le plus précocement possible. Nous prenons en compte toutes les données scientifiques disponibles et n’en excluons aucune a priori », précise-t-il.
Le pessimiste triomphe néanmoins parmi plusieurs chercheurs qui s’alarment de la baisse des financements publics dans la recherche et du poids des lobbies dans les secteurs de la nutrition et du médicament. Après 40 ans de recommandations sur le sel, aucune décision politique ferme n’a été prise.
*Règlement du parlement européen sur l’enregistrement, l’évaluation et l’autorisation des produits chimiques.
**L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail
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