Avec l’évolution des savoirs médicaux et techniques, de nouvelles attentes sociales ont émergé, en particulier dans le champ judiciaire et pénal. Ces évolutions ont nourri le rêve d’une justice préventive, efficace avant la réalisation du crime, garante d’une sécurité absolue rendant accessible le risque zéro. De l’exigence collective de sécurité à l’illusion sociale de sûreté, la médecine et les sciences sont convoquées non seulement pour prévenir, mais aussi pour prédire (lire aussi p. XX). Et, sur la base de liens évidents et étroits entre des troubles psychiatriques et certains comportements criminels, les psychiatres ont été rapidement enjoints d’évaluer le risque de passage à l’acte et le niveau de dangerosité criminologique.
Du « criminel-né »…
Au xviiie siècle, Franz Joseph Gall établit un lien entre particularités morphologiques du crâne et certains types d’infractions criminelles. Avec la description craniométrique des criminels ou phrénologie, Gall tente de rendre compte « scientifiquement » de la dangerosité d’infracteurs condamnés et du risque de récidive… Au xixe siècle, Cesare Lombroso décrit dans son sillage le « criminel-né », pour envisager sa neutralisation avant même un passage à l’acte, et Raffaele Garofalo propose le concept de « témébilité », ou quantité de mal que l’on peut redouter d’un délinquant.
… à l’évaluation du risque
Au xxe siècle, une approche descriptive vient compléter l’étude des facteurs de risque de passage à l’acte criminel. Sur la base de grandes études de cohorte, D. A. Andrews et James Bonta identifient huit facteurs de risque criminologique : antécédents judiciaires, traits de personnalité antisociale, fréquentation de pairs antisociaux, attitudes antisociales, relations familiales conflictuelles, consommation de toxiques, loisirs problématiques, problèmes d’éducation ou d’emploi (1).
Puis à partir de modèles statistiques ont émergé de nouvelles échelles d’évaluation du risque dites actuarielles. Ces échelles évaluent des facteurs de risque de récidive validés sur d’importantes cohortes, en pondérant, selon les outils utilisés, trois dimensions : statique, dynamique, et facteurs de protection. L’utilisation de ces outils standardisés, dits de troisième génération, permet d’objectiver l’évaluation du risque de récidive en affirmant que le risque est léger, modéré ou sévère (approche catégorielle), ou que le sujet examiné présente les mêmes caractéristiques criminologiques qu’une population d’étude ayant récidivé à hauteur de tant pour cent en cinq ans.
Débusquer la pensée criminelle
C’est avec le développement de l’imagerie cérébrale que la traque du crime s’est poursuivie, aux confins de l’esprit, pour en débusquer les prémices (lire aussi p. XX). Dépister la pensée criminelle, première étape de l’iter criminis, permettrait d’éviter la réalisation du crime. Ainsi, des équipes de recherche ont tenté d’identifier un pattern d’activation cérébrale spécifique caractéristique de criminels. Pour déterminer, à l’instar de l’empreinte digitale, une empreinte cérébrale qui signerait le risque de passage à l’acte criminel (2)… Mais les résultats ne sont pas spécifiques.
Malgré l’invitation du législateur (art. 16-14 du code civil, créé par la loi de bioéthique de 2011) à produire lors du procès pénal des examens de neuro-imagerie, les neurosciences restent donc incapables aujourd’hui de prédire le crime… ce qui n’empêche pas d’en évaluer le risque et de prévenir sa réalisation. Mais prévention n’est pas prédiction, et à défaut de confondre le criminel avec son acte, on confond dangerosité et criminalité, réduction des risques et neutralisation.
Psychiatre (Montpellier) (1) Andrews D. A., & Bonta J. Le Comportement délinquant. Analyse et modalités d’intervention, 5e éd. Les Presses de l’Enap, 2015 (2) Darby RR et al. Lesion network localization of criminal behavior. PNAS. 2018 Jan 16;115(3):601-606 Guay JP et al. L’évaluation structurée du risque de récidive des personnes placées sous main de justice : méthodes et enjeux. Pratiques psychologiques. 2015 Sep;21(3):235-257
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation