LE QUOTIDIEN : Pourquoi avoir créé un DU « Accès à la santé et lutte contre les discriminations » ?
Dr RODOLPHE PELLET : La première édition de ce DU est toute récente puisqu'elle a démarré en janvier 2021. Mais sa construction remonte à trois ans. L’ancien doyen de la faculté de Saint-Étienne, qui avait fait le constat de pratiques discriminatoires par des médecins ou des étudiants, avait missionné un professeur pour mettre en place une formation sur ces questions.
Le DU n’est pas uniquement destiné aux étudiants en médecine ou aux professionnels de santé. Il vise toute personne qui travaille dans un milieu en rapport avec l’accès aux soins et les discriminations. Il est ainsi cogéré par les facultés de médecine, de sociologie et de droit. Ce triple chapeautage permet d’offrir des points de vue variés sur le sujet des discriminations, un phénomène qui n’est pas uniquement médical, mais dépendant d’enjeux sociologiques et de définition juridique. La faculté de médecine propose des cours d’éthique mais n’aborde pas forcément cet aspect des discriminations. C’est un manque que le DU veut combler.
Concrètement, quels en sont les objectifs ?
L’idée est de permettre de comprendre les difficultés d’accès aux soins pour des populations qui sortent de la norme : les personnes en situation de handicap, les LGBTQI+, les populations racisées, les migrants, les précaires, etc. Sans oublier les femmes qui en sont elles aussi victimes. Il est nécessaire de se rendre compte de la manière dont nous intégrons des clichés dans nos pratiques. Nous développons une façon de faire qui se veut objective en théorie, mais qui peut avoir des portées discriminatoires.
Ces dynamiques sont généralement involontaires, contrairement aux discriminations actives comme le refus volontaire de prise en charge de certaines populations. La fermeture des secrétariats et la disparition d'un espace d'accueil physique chez les généralistes, par exemple, sont des mesures en apparence neutres, mais qui ont en réalité des conséquences pour certains patients. Les personnes qui ont du mal avec le téléphone ou qui n’ont pas accès à internet auront des difficultés à accéder à un médecin.
La conception universelle du soin à laquelle les médecins sont formés nuit-elle à la prise en compte de la particularité de certaines populations ?
Totalement. Il serait complexe d’être exhaustif, mais globalement, dès qu’on n’est pas une personne jeune, blanche, masculine, valide, etc., il y a un risque d'être sujet à des discriminations. Cette situation se retrouve aussi dans la recherche. Même si elle se veut neutre, la recherche se fait surtout parmi cette population et nous appliquons ainsi à tous une santé qui correspond à une certaine norme. Or, les groupes qui en sortent ont des particularités. Ne pas les prendre en compte, c’est les exposer à des discriminations.
Dans un article collectif*, vous mettez également en cause l’esprit carabin et sa capacité à véhiculer des préjugés. Qu’entendez-vous par là ?
Cet esprit de corps en médecine repose sur un ensemble de bestiaires, de blagues graveleuses, de chansons paillardes, de soirées arrosées, etc. Il s’est construit en réaction aux difficultés liées au travail, à la conduite morale exigée des médecins. Même s'il se veut bon enfant, le problème est qu'il permet de véhiculer beaucoup de clichés discriminatoires. L’humour carabin est notamment transphobe. Et ces clichés ne sont pas vraiment remis en question ni déconstruits pendant la formation.
Aussi, cet esprit carabin est censé aider les étudiants à réaliser une forme de catharsis, leur offrir un exutoire collectif, mais, si une personne fait l’objet de railleries, je doute que cela l'aide en termes de risques psychosociaux. Les médecins vivent des choses difficiles, mais je pense que nous sommes capables de construire d’autres lieux d'échanges et de prévention.
Dans quelle mesure la crise sanitaire a exacerbé les discriminations ?
Pour toutes les populations qui en sont victimes, la situation ne s’est pas améliorée, bien au contraire, c'est une détérioration qui est plutôt observée. La crise a accéléré la disparition des espaces d’accueil par exemple. Pour les populations à la rue, pour le suivi des usagers de drogues, pour les victimes de violences, cela a été compliqué.
Et ce d’autant qu’à l’hôpital, qui fonctionnait déjà à flux tendu avant la crise, les soignants ont été confrontés à des questions éthiques sur la prise en charge avec notamment une médecine de tri. Ces questions sont nécessaires face au manque de places en réanimation, mais il est indispensable d’intégrer dans la réflexion un questionnement sur les biais discriminatoires.
Comment les discriminations se traduisent-elles concrètement dans les pratiques de soins ?
La formation en dermatologie par exemple se concentre sur les peaux blanches, ce qui rend complexe la prise en charge des peaux noires. De même, la tension n’est pas tout à fait la même entre les populations blanches et les populations racisées, ce qui nuit là encore à la prise en charge. Jusqu’à récemment, la clinique de l’infarctus du myocarde était appliquée aux femmes de la même manière que chez les hommes, alors que ce n’est pas exactement la même clinique. Une grande partie des outils utilisés ne sont pas adaptés à toutes les populations, il est nécessaire de s’en rendre compte.
Les discriminations ont aussi des conséquences sur la santé : du retard de prise en charge au mauvais diagnostic, voire à l'erreur médicale. Pour reprendre l’exemple de l’infarctus du myocarde, devant des douleurs caractéristiques, les femmes auront des ECG plus tardifs que les hommes ou se verront poser un diagnostic de crise d’angoisse. Le panel de conséquences varie selon les problématiques et peut aller jusqu’au non-recours aux soins pour les populations les plus éloignées du système de santé.
Comment un médecin peut-il intégrer cette prise en compte des discriminations dans sa pratique ?
Le DU amène une réflexion, mais pas de solutions ou de recettes toutes prêtes. L’idée est d’intégrer un certain nombre de questionnements dans son exercice quotidien : quand j’ai reçu un patient en dehors de la norme, ai-je appliqué une attitude discriminatoire ? M’arrive-t-il d’aborder certaines pratiques de manière machinale ?
Une attitude qu’on peut par exemple retrouver à l’hôpital, c’est l’interprétation d’un « syndrome méditerranéen », selon lequel les personnes originaires de la région, et surtout du Maghreb, auraient tendance à avoir une expression de la douleur plus théâtralisée que la population générale. Ce préjugé pousse les soignants à moins croire leur parole.
Les conditions de travail difficiles peuvent amener à exercer un tri des patients et il faut veiller à ce qu'il s’effectue sur des critères objectifs et non sur des clichés discriminatoires. Si ce type de clichés n'est pas remis en cause, le risque est de se retrouver à ne pas écouter les patients ou à ne pas leur donner de traitements adaptés.
Le plus important est d’avoir une attitude empathique et d’écoute. En tant que médecin, il reste complexe d’identifier et de comprendre tous les enjeux quand on ne vit pas soi-même de discriminations. De la même manière que pour les femmes victimes de violences, il est nécessaire d’écouter et de croire.
Des ressources sont-elles disponibles pour mieux accompagner les patients ?
Il y a un manque à ce niveau. Les médecins ne disposent pas d’outils accessibles facilement pour se renseigner. Le plus important reste d’écouter. Mais une option peut consister à se tourner vers les associations de personnes concernées pour à la fois compléter nos connaissances de praticiens et pour y adresser les patients qui auraient des interrogations ou auraient besoin de l'aide de pairs.
Pour des situations économiques et sociales complexes qui entravent la prise en charge, il faut se tourner vers les structures et outils disponibles. Quand un patient a du mal à se nourrir ou à se loger, la santé ne sera pas sa priorité. S’appuyer sur une aide sociale peut améliorer la prise en charge médicale. Il n’est pas possible de rester seul pour s’occuper de ces situations.
*Myriam Dergham et al. Médecine, oct 2020. DOI: 10.1684/med.2020.585
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