Les désarrois des économistes

La nostalgie de Karl Marx

Publié le 29/01/2009
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Crédit photo : AFP

C’EST LA VENGEANCE des vaincus. Il y a vingt ans, le bloc soviétique s’effondrait avec fracas, amorçant la mort ou la révision du communisme. Aujourd’hui, les Castro, Chavez et Morales triomphent de nouveau : eux, au moins, ne se sont pas risqués à participer à l’orgie mondiale des crédits, même si leurs pays sont atteints de plein fouet par la baisse des prix des matières premières. En France, l’opinion assiste, médusée, à une tempête économique qui ajourne les réformes, appauvrit la classe moyenne, rend la vie intenable aux pauvres. L’avenir immédiat est très sombre. Les recettes du capitalisme ne sont plus efficaces. La régulation du marché par le marché est considérée comme une galéjade. Comme l’a montré la journée de mobilisation d’hier, les syndicats et l’opposition retrouvent une partie au moins du crédit qu’ils avaient perdu. Ils veulent qu’on les écoute et, si le gouvernement reste sourd à leurs propositions, les Français, eux, estiment qu’une autre approche des problèmes sociaux doit être adoptée.

Ce n’est pas simple : le plan de relance que les socialistes ont proposé n’est pas inspiré par le marxisme ; il comporte seulement des mesures sociales, comme la restitution de 500 euros à tous ceux qui vivent sous le seuil de pauvreté, qui n’existent pas dans le plan gouvernemental. Nicolas Sarkozy, de son côté, pousse le pragmatisme avec tant d’énergie qu’il n’exclut aucune méthode, aucun moyen de faire repartir l’économie nationale d’un bon pied. Un hebdomadaire, récemment, a consacré son article de couverture à un thème (« Sarkozy est-il de gauche ? ») qui a surpris ses lecteurs, mais qui tentait de démontrer que l’influence de Carla Bruni a fait reculer, chez le président, son autoritarisme de droite. C’est vrai pour un certain nombre de sujets, comme sa volte-face au sujet des terroristes repentis, mais ce l’est encore plus pour son attitude à l’égard des puissants et des lobbies. Ces derniers jours, le président et ses ministres, ont livré une bataille sans merci aux bonus que touchent les responsables des banques et aux parachutes dorés dans l’industrie. Ils ont littéralement harcelé les banquiers et les chefs d’entreprise, comme l’aurait fait Marie-George Buffet si elle était au pouvoir et comme n’ont jamais osé le faire les socialistes quand ils dirigeaient le pays.

Les Français qui vivent de leurs maigres salaires ou qui n’en ont pas n’ont aucun préjugé contre le collectivisme. Ainsi la gauche et les syndicats, qui ont tenté depuis vingt ans de s’adapter à la marche inexorable de l’économie de marché en se réformant et en abandonnant quelques vieilles lunes, sont-ils pris à contrepied. Ils croyaient que le collectivisme n’avait plus aucune chance de redevenir une valeur, ils s’aperçoivent que, compte tenu de la dimension d’une crise dont personne ne peut dire si elle va s’apaiser ou s’aggraver, le gouvernement de François Fillon n’hésitera pas, s’il le faut, à nationaliser le crédit, les banques, les assurances et la distribution.

D’autant que, comme Stiglitz et Roubini, Karl Marx, dans son ouvrage de référence, « Le Capital », avait prévu, il y a 148 ans, les crises qui, par la suite, ont jeté des nations entières dans la misère. Il pouvait d’autant mieux le prévoir qu’il s’en était produit avant qu’il n’écrive son œuvre majeure. Il y a un vice, dans le fonctionnement de l’économie de marché, qui la conduit presque fatalement à des crises cycliques. D’une part, quand tout va bien, elle a une tendance naturelle à accroître l’écart entre riches et pauvres ; d’autre part, quand tout va mal, elle appauvrit les nantis tout en jetant dans le dénuement les classes pauvre et moyenne.

Pas de modèle parfait.

Science imparfaite et fort inexacte, qui ne peut progresser sans connaître les comportements des masses, l’économie n’a pu produire, à ce jour, de modèle parfait fondé sur la répartition des richesses ni de modèle parfait fondé sur la liberté d’entreprendre. M. Sarkozy, qui a assez d’ambition pour se considérer comme l’homme qui fera la synthèse, n’hésiterait à broyer les dogmes dans un creuset pour en tirer une mixture universelle.

Si Marx redevient à la mode, il n’a pas été débarrassé pour autant des tares qui ont conduit le collectivisme soviétique au totalitarisme. L’économie libérale rend les gens pauvres quand elle se grippe ; le totalitarisme fait mieux, il les tue. Mais si l’on doit se garder des excès de chaque système, on n’échappe pas à une réflexion sur un retour des règles, de l’autorité en économie, et de l’État. À gauche, on est dans un débat permanent, mais on ne semble pas avoir perçu la chance politique que la crise offre à une social-démocratie en déclin il y a peu. On en est à combattre un plan avec un autre plan dont les chiffres sont un peu plus élevés. On ne voit pas que, quand la misère arrive, le peuple est prêt, pour obtenir un soulagement, à oublier les libertés dont il bénéficie. Les socialistes auraient d’ailleurs pu dire qu’ils sont en mesure de donner les deux aux Français : une solide protection sociale sans réduction des libertés. Surtout s’il s’agit des libertés économiques qui ont été exploitées par les riches jusqu’à ce que le système s’effondre.

LA GAUCHE NE SAIT PAS SAISIR LA CHANCE POLITIQUE QUE LUI OFFRE LA CRISE

RICHARD LISCIA

Source : lequotidiendumedecin.fr