LE QUOTIDIEN - Pouvez-vous nous expliquer dans quel contexte la cohorte AZF a été constituée.
Dr JEAN-YVES FATRAS - Au lendemain de l’explosion, un important dispositif de surveillance a été mis en place, par l’Institut de veille sanitaire (InVS)*, auprès de diverses populations : population générale, étudiants des établissements scolaires alentour, etc. Au total, 5 000 personnes étaient concernées. Puis, en 2003, nous avons constitué une cohorte spécifique de 3 000 personnes que nous avons appelée « Cohorte AZF ». Il nous paraissait indispensable de faire un bilan de santé très complet pour les volontaires intervenus très rapidement sur le site de l’accident et les salariés qui travaillaient sur le site même ou à proximité.
Dans quel état de santé étaient-ils ?
Ils étaient complètement désarçonnés, en demande de soins et d’écoute. Ils avaient besoin que l’on reconnaisse leurs plaintes et nous avons travaillé en pleine collaboration avec les médecins traitants. Certains avaient aussi de l’appréhension vis-à-vis de cette prise en charge psychique. Nous avons donc fait un travail de démystification et préparé le terrain vers le soin. D’autres, encore, ont tenu bon au départ, ils ont reconstruit leur vie, leur maison, etc. Ils ont fait comme si de rien n’était ou presque. Puis nous les avons vus aller moins bien, au bout d’un an et demi, comme s’ils s’étaient autorisés inconsciemment à aller moins bien.
Quel type de suivi leur a-t-il été proposé ?
Ce sont les médecins du centre d’examens de santé de la CPAM de Haute-Garonne qui les ont accompagnés entre 2003 et 2009. Nous leur avons fait passer dans un premier temps un bilan de santé complet et un questionnaire, complété quelque temps après par un deuxième questionnaire envoyé par voie postale. À mi-parcours, nous avons proposé à 300 patients environ, que nous ressentions en état de déprime, de passer un test afin de mesurer leur dépressivité.
Ensuite nous avons régulièrement adressé des questionnaires que les gens s’auto-administraient, puis en 2009 nous avons de nouveau réalisé un bilan complet avec des visites médicales au CES pour clôturer l’enquête. À ce stade, il restait 1 800 patients, ce qui est un bon chiffre en épidémiologie.
Quelles sont vos conclusions ?
Nous avons fait le choix de nous concentrer sur deux types de séquelles : les syndromes post-traumatiques et la dépressivité, d’une part ; les troubles sensoriels, en particulier les troubles auditifs, d’autre part. Concernant les troubles auditifs, il en ressort que plus les gens étaient proches de l’explosion, plus ils ont subi de troubles auditifs. On a constaté, cinq ans après l’explosion, 31 % d’acouphènes chez les hommes et 24 % chez les femmes ; 26 % d’hyperacousie chez les hommes et 35 % chez les femmes.
Quant aux symptômes dépressifs, ils ont tendance à augmenter avec le temps. Ils concernaient 34 % des hommes et 50 % des femmes en 2005, puis 42 % des hommes et 60 % des femmes en 2007.
Comment expliquez-vous cette augmentation ?
Les hypothèses des chercheurs sur ce sujet sont qu’un certain nombre de patients ont, dans la durée, glissé du stress post-traumatique vers la dépression. Cette donnée a d’ailleurs été corroborée par une troisième étude, réalisée à partir des fiches de la Sécurité sociale, qui révèle que la consommation des psychotropes a augmenté dans le même temps, de l’ordre de 10 %.
Votre enquête fait-elle apparaître des différences entre les hommes et les femmes, ou en fonction des catégories socio-professionnelles ?
En effet, nous avons noté une légère supériorité de la dépressivité comme des problèmes auditifs chez les femmes. De même, chez les catégories socioprofessionnelles plus défavorisées, on avait l’impression de plus de gravité et de cumul des troubles.
Quelles sont aujourd’hui les recommandations pour ces personnes ?
Dix ans après l’accident, l’étude en elle-même est terminée, mais nous recommandons à ces personnes de continuer à voir régulièrement leur médecin traitant et éventuellement de bénéficier d’un suivi psychiatrique. De notre côté, nous restons à disposition pour leur proposer des bilans de santé.
* L’Institut de veille sanitaire a rendu publiques la semaine dernière les premières conclusions du programme de surveillance mis en place (« le Quotidien » du 21 septembre.
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