Violences faites aux femmes

Le dépistage doit être systématique

Publié le 14/12/2017
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Pour l’Organisation mondiale de la santé (1), la violence à l’encontre des femmes est un grand problème de santé publique et constitue une violation majeure de leurs droits. 35 % des femmes ont été exposées à des violences physiques ou sexuelles. En Europe, c’est 1 femme sur 5 qui a été victime de violences physiques (2). En France, 1 femme meurt tous les 3 jours sous les coups de son conjoint. Les femmes victimes présentent des affections chroniques plus fréquentes et mal soignées. Elles perdent entre 1 et 4 années de vie en bonne santé et leur prise en charge ambulatoire coûte 2 fois plus cher à la société (3).

Chaque fois que cette triste comptabilité est rappelée, un nouveau rapport est proposé, mais il reste sans suite (4), si bien que, faute d’engagement des autorités sanitaires, les habitudes des soignants changent peu.

Changer les habitudes

La psychiatrie a évolué, mais nous avons toujours affaire à des individus et non à des organes. Cela implique une connaissance précise de la symptomatologie, des facteurs de risques et des antécédents, qu’une anamnèse rigoureuse permet d’identifier. Pourtant, le vécu de violence est souvent occulté, quel que soit le sexe des patients. Si certaines le cachent ou le banalisent, il nous revient alors de le rechercher, pour éviter de passer à côté d’un élément qui biaiserait notre prise en charge. « Oh, il me bouscule parfois, j’ai quelques bleus », ou encore « depuis ma grossesse, j’ai pris du poids et mon chef me ridiculise devant l’équipe ».

Ne pas négliger les atteintes psychologiques

Les études épidémiologiques concernent davantage les violences physiques, car elles sont observables et motivent les incapacités totales de travail. Les violences psychologiques sont plus difficiles à déceler. Quelques études publiées montrent une plus grande exposition des femmes aux risques psychosociaux, en tête desquels le harcèlement moral et sexuel (5,6). L’absence de preuves visibles contribue sans doute à la rareté des références à la dimension psychologique de la violence, dans des rapports de référence (7).

La spécificité de notre métier de psychiatres nous demande de reconnaître ces graves atteintes à l'intégrité individuelle, qui laissent nos patientes dans des états qu’elles rapprochent de la mort psychique et qui peuvent les pousser au suicide. Au-delà des conséquences bien connues de la violence physique – de l’ecchymose au traumatisme sévère, des fausses couches au décès par assassinat ou par suicide –, nous voyons des stress post-traumatiques, dépressions, troubles anxieux, abus de produits par automédication ou équivalent suicidaire, voire automutilations répétées.

Un couple mère enfant(s)

Les enfants témoins peuvent présenter la même symptomatologie, ce qui renforce encore le sentiment de culpabilité et de faible estime de soi de la mère. Il leur arrive aussi, par irritabilité réactionnelle, de maltraiter leurs enfants à leur tour.

Elles oscillent entre l’hyperémotivité incontrôlable et l’anesthésie, qui entretient l’idée qu’en parler serait inadapté. Ce silence les isole et les éloigne des circuits de soins. Le dépistage doit être systématique, car certaines, par soucis des apparences, le taisent. En effet, dans 63 % des cas, les victimes de violence psychologique et leurs conjoints sont d’un haut niveau socioprofessionnel (8) où la violence est taboue.

La violence faîte aux femmes est un sujet médical qui nous oblige, mais c’est aussi un sujet de société qui laissera à chacun la liberté de poursuivre la réflexion en tant que soignant, patient ou citoyen.

Psychiatre, Sainte-Anne (Paris)
Fatma Bouvet de la Maisonneuve. Le choix des femmes. Paris, Odile Jacob, 2011.
(1) http://www.who.int/mediacentre/factsheets/fs239/fr/
(2) Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne 2015 http://fra.europa.eu/fr
(3) Enquête ENVEFF2000
(4) http://stop-violences-femmes.gouv.fr/IMG/pdf/Lettre_ONVF_8__Violences_f…
(5) http://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/dossiers/egalite-professionnel…
(6) http://www.novethic.fr/empreinte-sociale/conditions-de-travail/isr-rse/…
(7) http://femmes.gouv.fr/wp-content/uploads/2014/11/Rapport-Protocole-viol…
(8) http://www.em-consulte.com/article/223242/profil-clinique-et-psychopath…

Dr Fatma Bouvet de la Maisonneuve

Source : Bilan Spécialiste