LE QUOTIDIEN : Lors de votre long périple, quelle a été l’expérience la plus marquante ?
DR BERNARD FONTANILLE : La découverte de la médecine chamanique au Brésil. Après deux jours de petit avion et de pirogue, je mets un pied sur la rive. Un homme nu arrive, le visage peint : le médecin chaman. J’ai fait un bond dans le passé. L’homme m’a proposé d’assister à un rituel pour sa fille tout juste sortie de l’hôpital, qui ne parvenait pas à se remettre d’une dépression. J’ai assisté à une danse très codifiée, où trois hommes, après avoir fumé des feuilles de la forêt, ont aspiré la peau de la jeune femme par la bouche, puis recraché l’air bruyamment. Ils recrachaient le mal, j’imagine. Le père a brûlé une figurine en paille, symbolisant la destruction de l’esprit qui pourchassait sa fille. Les hommes portaient des accessoires avec des plumes d’aras aux couleurs magnifiques. La fille était à moitié dévêtue dans un hamac. C’était une séance de psychothérapie comme celles décrites par Lévi-Strauss. Impressionnant.
En tant que soignant, cela a un vrai sens de voir un médecin s’investir autant - tout comme ce chaman en Corée du Sud qui a passé trois jours entiers avec un seul patient. Mais comme scientifique, je ne peux pas vérifier si cela marche. Je suis resté quatre jours, je n’ai pas vu le résultat. Ce n’était pas mon but.
Ces rencontres ont-elles modifié votre pratique ? Votre regard sur la médecine occidentale ?
Je reviens très motivé par la médecine d’urgence, très fier de ce que je sais faire. J’ai repris le travail en janvier. Je suis beaucoup plus « cool » avec les patients, mais je prescris pareil qu’avant. Je n’ai pas perdu de vue le monde dans lequel je vis. Les recommandations et les règles de bonne pratique n’existent pas pour rien. Ce n’est pas pour rien non plus qu’on a abandonné les saignées, sauf pour l’hémochromatose.
Il ne faut pas être obtus, mais il faut aussi être très critique. Qu’un médecin chinois puisse poser le bon diagnostic en écoutant le pouls, je veux bien le croire. Mais n’oublions pas que la médecine chinoise repose sur la théorie des humeurs, sans aucun fondement scientifique. Ces médecines n’ont jamais fait leurs preuves. Je ne pratique aucune médecine douce, pas même pour moi.
L’enseignement technique reste roi à la faculté de médecine. Faut-il déplorer la perte de la transmission d’un savoir ancestral ?
Une fois sorti de l’hôpital, c’est vrai que je ne sais pas quoi faire. L’échographe, c’est comme un prolongement de ma personne. J’ai perdu le sens clinique, clairement. En Ouganda, chez la sage-femme seule au monde, je ne faisais pas le malin. Sincèrement. Cette femme a su faire reculer la mortalité infantile avec des gestes simples, comme le lavage des mains. De grands prématurés continuent de mourir, l’hôpital est très loin. Mais elle, personne ne viendra l’engueuler si l’enfant meurt. Alors que j’ai déjà été convoqué chez le juge.
Cette pression médicolégale pèse sur la relation soignant soigné. Nos patients sont exigeants, informés, très critiques, alors que la parole des « tradipraticiens » n’est pas mise en doute.
La relation médecin malade est-elle différente ?
Oui. Les médecines traditionnelles ont un rapport au temps différent. Un généraliste coupe la parole du patient au bout de 22 secondes en moyenne. Or donner du temps, c’est aussi donner du sens. Malgré tout, quand je regarde mes confrères travailler, je trouve qu’on est quand même très humain. On ne peut nous demander de fournir la meilleure prise en charge technique possible et en même temps de donner du sens à la maladie. J’ai du mal à accepter les reproches qui nous ciblent.
Vous évoquez la disparition de certaines plantes médicinales et parlez d’épée de Damoclès pour les malades des pays en voie de développement. Les médecines traditionnelles peuvent-elles disparaître ?
La médecine moderne, quand elle arrive avec ses réponses puissantes, bouleverse tout sur son passage. L’école, c’est la mort de la médecine traditionnelle. Comment reprocher à l’enfant qui apprend ce qu’est la ville d’être attiré par elle ? C’est pareil. Le problème, c’est que rien ne remplacera ces médecines traditionnelles. Selon l’OMS, 80 % des habitants de la planète se soignent à l’aide de plantes médicinales.
Cette disparition en marche est une catastrophe. D’un autre côté, je ne comprends pas ceux qui disent : « Je n’aime pas les médicaments ». C’est parce que l’on va trop bien que l’on se permet de dire cela. La synthèse chimique de molécules de la nature assure la sécurité du traitement, sa stabilité, sa reproductibilité. Alors que la qualité des plantes cueillies par les moines chinois de Shaolin varie selon le taux d’ensoleillement et le versant de la colline.
Les scandales sanitaires ont fragilisé la confiance dans le médicament. Vous ne voyez pas d’un bon œil l’essor des médecines douces ?
En prélevant des tonnes de plantes revendues très cher en Occident, cette mode prive beaucoup de gens de leurs ressources naturelles. Les lobbies pharmaceutiques ont peut-être mis sur le marché des molécules inutiles, mais c’est une minorité. Face à une maladie grave, le médicament s’impose. Affirmer que le bénéfice d’un vaccin est inférieur au risque est scientifiquement faux. Il faut arrêter de dire que la science, c’est le diable ! Les grands progrès viennent tous de la médecine occidentale. Après, rien ne sert d’être manichéen. Des tas de guérisseurs méritent qu’on s’intéresse à leurs savoir-faire. J’ai vu des coupeurs de feu intervenir dans les hôpitaux, où est le problème ? Si des gens sont contents de méditer, où est le problème ?
J’ai entendu un professeur de cancérologie gronder un patient qui était allé voir un radiesthésiste pour calmer la douleur : quelle idiotie ! Notre toute-puissance médicale s’effrite, et c’est une très bonne chose. Mais il faut rester très critique, car le danger est grand que des charlatans glissent le pied dans la porte.
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