Entretien avec François Bruneaux*
C’EST UN sujet qui intéresse la presse spécialisée mais aussi les médias grand public : au cours des dernières semaines, les articles sur les ruptures d’approvisionnement de médicaments se sont multipliés. « Il y a, c’est vrai, une grosse focalisation médiatique qui n’est pas toujours simple à gérer. Nous sommes très sollicités sur ce sujet. Cela nous oblige à communiquer mais en évitant de provoquer tout phénomène d’emballement ou de panique chez les premiers concernés, c’est-à-dire les patients qui prennent ces traitements », explique François Bruneaux, directeur-adjoint de la direction de la surveillance à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
Mais cet intérêt des médias n’est pas non plus dénué de fondement. Le problème de fond, en effet, est bien réel. « Depuis quelques années, nous sommes confrontés à une augmentation des problèmes de rupture ou de risques de rupture dans l’approvisionnement des médicaments. À la date du 30 octobre dernier, nous avions ainsi 200 dossiers ouverts qui faisaient l’objet d’un suivi actif », souligne François Bruneaux. En 2012, 173 dossiers avaient été ouverts par l’ANSM, contre 132 en 2011, 89 en 2010, 57 en 2009 et 44 en 2008. « Il convient de préciser que ces dossiers ne sont qu’une partie des signalements qui nous arrivent. À titre d’exemple, sur les dix premiers mois de 2013, nous avons reçu environ 400 signalements », indique François Bruneaux, en précisant que chaque signalement entraîne une évaluation du risque, pour le patient, de l’indisponibilité du médicament. « On évalue notamment s’il y a une mise en jeu du pronostic vital ou une perte de chance importante pour le patient au regard de la gravité ou du potentiel évolutif de la maladie. Ensuite, il y a des dossiers qui ne font pas l’objet d’une gestion spécifique, soit parce que le médicament n’a pas de caractère indispensable, soit parce qu’il existe des alternatives thérapeutiques, qu’elles soient médicamenteuses (recours aux génériques par exemple) ou non. Dans un certain nombre de cas, la durée prévue de la rupture reste très limitée dans le temps », note François Bruneaux.
C’est la raison pour laquelle les chiffres de l’ANSM sont parfois en décalage avec ceux, par exemple, de l’Ordre des pharmaciens qui a mis en place DP-rupture, un dispositif d’alerte dédié aux ruptures de stocks. « L’Ordre mentionne par exemple 1 500 ruptures. Ce chiffre est basé sur les déclarations faites par les officines qui, en moyenne, constatent chacune entre 20 à 40 ruptures chaque jour en sachant qu’une rupture correspond à tout produit manquant depuis plus de 72 heures. Mais toutes ces situations ne présentent pas le même caractère de gravité. Dans certains cas, ces ruptures concernent un énième générique d’une molécule déjà très présente sur le marché. À l’ANSM, nous ne gérons que les ruptures ayant un caractère réellement problématique », indique François Bruneaux.
Cette augmentation des ruptures d’approvisionnement ne concerne pas que la France. La Food and drug administration (FDA), aux États-Unis, affiche les mêmes préoccupations. « Dans chaque pays, la nature des problèmes est liée aux spécificités de l’offre de soins. Aux États-Unis, le problème touche principalement les médicaments hospitaliers. En France, nous avons une offre de soins en médicaments de ville qui n’a rien à voir avec ce qu’on peut voir aux États-Unis », indique François Bruneaux.
En France, les causes de ces ruptures sont variables. En octobre 2012, l’ANSM s’est livrée à une analyse portant sur 532 dossiers suivis par ses services. Les ruptures de stocks étaient d’abord liées à un problème au niveau de l’outil de production (38 %), dus notamment à des retards de fabrication. « Cela peut notamment se produire lorsque des transferts de technologie ne se font pas de bonnes conditions à l’issue d’un rachat du laboratoire. Il peut y avoir une petite perte de savoir-faire qui va entraîner quelques retards dans la fabrication », explique François Bruneaux. L’étude de l’ANSM faisait apparaître d’autres causes : des difficultés d’approvisionnement en matière première (15 %), des défauts dans la qualité des produits finis (9 %) et au niveau des matières premières (5 %). Ces ruptures peuvent aussi être consécutives à des arrêts de commercialisation (9 %) ou des modifications d’AMM. « Un autre élément à prendre en compte est une certaine perte d’attractivité du marché français ainsi que la mondialisation de la production du médicament », souligne François Bruneaux.
Face à ce problème de rupture, la mission de l’ANSM est de trouver des solutions palliatives qui passent parfois par l’importation de médicaments. « Mais notre action se heurte à certaines limites. Nous ne pouvons pas nous substituer aux laboratoires en ce qui concerne la production ou le stockage, ni leur imposer de contraintes dans ce domaine », souligne François Bruneaux, en précisant que, pour l’instant, les médicaments antidiabétiques n’ont pas été « concernés par un problème majeur ou durable de rupture de stocks ».
* Directeur-adjoint de la direction de la surveillance à l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM).
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