PAR LES Prs DAN BENHAMOU1, YVES AUROY2, ANDRE LIENHART3 ET RENE AMALBERTI4
AU COURS DE ces trente dernières années, la sécurité de l’anesthésie et des soins périopératoires a considérablement progressé, comme en témoigne la réduction du taux de décès d’un facteur 10 entre les deux enquêtes réalisées en France sur ce sujet (1). Le taux de décès est désormais de 1 pour 250 000 anesthésies chez les patients de classe ASA 1. Les éléments contribuant à l’amélioration de la sécurité sont multiples, mais il est probable que les gains les plus substantiels sont associés aux innovations pharmacologiques ou techniques et aux éléments macro-organisationnels.
Pour progresser encore, nous devons élargir notre vision de la sécurité. La première direction est celle des aspects médico-techniques, c’est-à-dire les efforts et des progrès techniques et organisationnels. Et il persiste encore des gains significatifs devant nous. La première source de progrès concerne la prise en charge des patients à haut risque (comorbidité sous-jacente et chirurgie majeure). Dans une étude épidémiologique récente, Pearse et al ont montré au Royaume-Uni que 12 % des opérés expliquaient 84 % de la mortalité périopératoire. Les moyens d’amélioration sont en partie déjà connus : monitorage et optimisation hémodynamique, meilleure prise en compte des « agressions secondaires » (hypothermie, hyperglycémie, anémie, par exemple), monitorage postopératoire et hospitalisation en unité dédiée (surveillance continue). La prise en charge périopératoire doit donc séparer plus nettement les patients nécessitant des soins « légers » (qu’il faut alléger encore plus, par exemple en renforçant la réhabilitation postopératoire, en réduisant l’hospitalisation inutile, en développant la chirurgie ambulatoire) et ceux qui nécessitent des soins « lourds » et donc une concentration des moyens.
Cet effort doit être partagé par les chirurgiens au sein de l’équipe opératoire (checklist).
La deuxième source de progrès réside dans l’application des connaissances acquises, et sa mesure par l’évaluation et l’amélioration des pratiques professionnelles.
La troisième concerne la réduction de l’iatrogénie. En France, l’enquête ENEIS a permis de préciser de manière quantitative et qualitative des risques liés aux soins. Par exemple, une interrogation permanente sur le besoin de réalisation d’un acte ou de maintien d’un dispositif invasif doit être enseignée pour que cette réflexion devienne naturelle pour chaque clinicien.
Une quatrième source de progrès réside dans l’amélioration des stratégies de récupération et d’atténuation du risque. On ne citera ici que le rôle majeur que pourrait jouer la simulation haute-fidélité afin de favoriser l’acquisition de réflexes lorsque le pronostic vital est en danger.
Le rôle des patients est historiquement essentiellement passif. Progresser encore dans la sécurité et dans la qualité des soins anesthésiques et périopératoires nécessite probablement d’aider les patients à devenir des acteurs de leur propre sécurité. Leur rôle est intuitif lorsque l’on pense à leur participation, notamment, aux procédures d’identification, de vérification de site ou de côté, mais le patient a également un rôle dans d’autres domaines, tels que la période postopératoire.
La mesure du progrès est essentielle.
Il existe certainement une corrélation forte entre les solutions choisies pour mesurer la sécurité et celles pour assurer cette sécurité. Par ailleurs, dans le contexte économique actuel, il nous semble attendu que toutes les mesures visant à maîtriser les risques fassent l’objet tôt ou tard de remises en question quant à leur efficience. Plusieurs moyens existent et doivent être utilisés. Schématiquement, trois types d’indicateurs peuvent être identifiés : les indicateurs mesurant la réalisation des actes ou recommandations, les indicateurs de résultats intermédiaires évaluant la survenue d’événements indésirables ou de complications, les indicateurs intégrant plus largement le processus de soins dans son ensemble comme la mortalité. Les systèmes d’information hospitaliers sont potentiellement des aides majeures à la détection de situations indésirables et à la décision, mais leur potentiel à fournir des indicateurs de mesure du risque n’a été pour l’instant que très insuffisamment pris en compte.
1 Département d’anesthésie-réanimation, hôpitaux Universitaires Paris-Sud
2 Yves Auroy, service d’anesthésie-réanimation, HIA Percy, Clamart
3 André Lienhart, département d’anesthésie-réanimation, hôpital Saint-Antoine, Paris
4 René Amalberti, Haute Autorité de santé (HAS), Saint-Denis-La-Plaine
(1) Lienhart A, Auroy Y, Pequignot F, et al. Survey of anesthesia-related mortality in France. Anesthesiology 2006;105(6):1087-97.
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