LE QUOTIDIEN : Plus de trois ans après sa création, le Défenseur des droits n’aurait pas encore trouvé sa vitesse de croisière selon la Cour des Comptes. Quelles sont vos ambitions ?
JACQUES TOUBON : Dominique Baudis a établi une architecture unique à partir de quatre maisons et a incontestablement assis l’autorité et la légitimité du Défenseur en matière de protection des droits.
Maintenant, notre défi est de promouvoir l’égalité et l’accès aux droits, d’élargir nos publics et notamment, de faire venir à nous les personnes éloignées des institutions, aux situations économiques, sociales et culturelles difficiles, qui, bien qu’éprouvant des sentiments d’inégalité et d’injustice, ne savent pas qu’elles ont des droits ni qu’il existe un Défenseur. Dès janvier, je lancerai des actions de communication et de recherche dans ce sens. Nous cherchons à réduire les délais de traitement des saisines et avons aussi mis en place un nouveau système d’information, Agora.
La Cour des comptes soulignait l’extrême proximité voire confusion de certaines missions du Défenseur avec celles du contrôleur général de lieux de privation de liberté...
Dès juillet, la CGCLPL Adeline Hazan et moi avons convenu que - si nécessaire - nous établirions une nouvelle convention après celle signée par Jean-Marie Delarue et Dominique Baudis. Mais nous n’en sommes pas là. La dualité n’est aujourd’hui pas un problème pour nous ; elle peut l’être pour les personnes susceptibles de s’adresser au DDD ou au CGLPL, qui peuvent être tentés de s’adresser aux deux ou, pire, à aucun. Nous devons développer l’information, notamment grâce à nos délégués territoriaux présents dans 140 lieux de détentions, pour qu’il n’y ait pas de doublons.
Pensez-vous que le projet de loi de santé de Marisol Touraine est de nature à faciliter l’accès aux soins des plus démunis ?
Nous aurons une audition parlementaire bientôt, au cours de laquelle nous formulerons des propositions qui seront reprises dans un avis public.
Nous avons été aux premières loges sur l’accès aux droits des plus démunis, en rendant un rapport au Premier ministre en mars 2014 sur les refus de soins. Notre position est qu’il faut que soit mis fin à tout refus de la part d’un professionnel de santé de servir une personne bénéficiaire de la CMU ou de l’AME. Je reçois le Conseil de l’Ordre et les syndicats médicaux pour recueillir leurs réactions ; je pourrais être amené par la suite à faire une recommandation.
Le droit à la santé est conceptuel ; mais l’accès aux soins est très concret, et nous pouvons mesurer la distance entre le droit reconnu et le droit réalisé. Prenons la mise en œuvre du droit à l’avortement. Des obstacles existent aujourd’hui, qui tiennent à la disparition de certains services d’orthogénie, au refus de certains professionnels, à une discrimination parfois des femmes étrangères. Il y a certes, une facilité du refus du droit, car le professionnel de santé est tout puissant. Mais il y a aussi pour nous une facilité de démontrer ce refus.
La généralisation du tiers-payant peut-il être un moyen de lutter contre le renoncement aux soins ?
Je n’ai aucune opinion ni à titre personnel, ni à titre de DDD sur ce sujet. J’ai le sentiment que c’est une évolution inéluctable liée à la mentalité et aux comportements des patients. Je constate une demande sociale, accrue par la crise économique. Mais je comprends certains médecins qui estiment que le paiement à l’acte et la liberté de prescription sont intimement liés et que le tiers payant intégral n’est pas conforme à cette philosophie. Notre système qui veut concilier exercice libéral et prise en charge collective, est résolument ambigu.
Dans le sillage des débats suscités par le mariage pour tous, quelle est la position du Défenseur des droits sur les enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger ?
La décision de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, d’une très grande clarté, est non interprétable : il faut assurer en France un état civil conforme à la filiation biologique de ces enfants. Vu la hiérarchie des normes, cette décision doit être appliquée. Mais cela ne signifie pas qu’on va se lancer dans la légalisation de la gestation pour autrui. J’y suis hostile par principe. À partir de là, la balle est dans le camp du gouvernement. Mais je risque de me trouver dans une situation, où une famille, qui sera allée à Nantes (où le parquet est chargé de la transcription d’un acte d’état civil d’un Français né à l’étranger) et se sera vue opposer un refus, me saisira. Je dirai : « Vous avez raison car il y a une décision de la CEDH ».
Êtes-vous favorable à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation (AMP) pour les couples de même sexe ?
J’attends l’avis que rendra le comité consultatif national d’éthique au printemps. Il y a trois angles à partir desquels on peut aborder cette question. Le premier est médical, c’est celui de la législation actuelle, pour laquelle l’AMP est un traitement pour les couples dans une situation de stérilité. On peut aussi envisager la question sous l’angle social et sous l’angle de l’égalité des droits, pour lequel le DDD est légitime. Pour avoir un débat rationnel, il faut savoir de quoi on parle et d’où l’on parle.
Dominique Baudis avait pris position contre l’exclusion des homosexuels du don du sang et contre l’interdiction des soins funéraires sur des personnes séropositives. Faites-vous vôtres ces positions ?
J’ai renouvelé ces positions dans des écrits à Marisol Touraine. Sur les soins funéraires, la ministre de la Santé est favorable à la fin de cette interdiction. Les choses dépendent maintenant du ministère de l’Intérieur et de l’organisation des funérariums. Sur le don du sang, on attend la décision de la cour de justice de l’Union Européenne. Selon le DDD, on ne peut pas dire que si vous déclarez un certain comportement sexuel, vous devez être automatiquement exclu du don du sang. C’est de la discrimination.
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