« MIEUX prescrire les antibiotiques est devenu une urgence absolue », prévient Christian Rabaud (Nancy), président de la Société de pathologie infectieuse de langue française. Depuis les années 2000, des efforts ont été menés pour préserver l’efficacité des antibiotiques. Ils doivent encore être intensifiés, « et rapidement », insiste-t-il dans l’éditorial du Bulletin épidémiologique hebdomadaire (BEH). Le sujet est également au menu du Bulletin épidémiologique santé animale-alimentation (BE) « car il n’existe aucune barrière à la diffusion des bactéries multirésistantes, qu’elles aient été sélectionnées par l’usage d’antibiotiques en médecine humaine ou vétérinaire ». Malgré quelques progrès, les Français demeurent les plus gros consommateurs de ce type de médicament en Europe (trois fois plus qu’en Suisse ou aux Pays-Bas). Ces mésusages et sur-usages participent à l’émergence de bactéries hautement résistantes qui laisse craindre « à court terme d’aboutir à des impasses thérapeutiques », s’inquiète-t-il.
La menace des EBLSE.
L’étude d’Isabelle Arnaud et co. - qui présente les principaux résultats du réseau de surveillance nationale des bactéries résistantes en milieu hospitalier, BMR-Raisin en 2010 - permet l’observation des tendances en incidence pour les Staphylococcus aureus résistants à la méticilline (SARM) et les entérobactéries productrices de ß-lactamases à spectre étendu (EBLSE). En 2010, 933 établissements de santé ont participé à la surveillance, soit une augmentation de 91 % par rapport à 2002. De 2002 à 2010, la densité d’incidence (DI) des SARM a diminué globalement de 43 %, passant de 0,72 à 0,41 et celle des EBLSE a augmenté de 282 %, passant de 0,17 à 0,48. La proportion de l’espèce Escherichia coli. au sein des EBLSE a augmenté, passant de 18,5 % en 2002 à 59,7 % en 2010. Les disparités régionales entre les deux bactéries (les SARM semblent prédominer dans les régions Nord et Sud-ouest alors que les EBLSE prédominent dans le Nord et le Sud-est) restent encore à être interprétées. « La diminution de la DI des SARM suggère un impact positif des actions de prévention instituées dans les services participants au réseau », estiment les auteurs. « L’augmentation de la DI des EBLSE, en particulier des E. coli, est, par contre, très préoccupante et doit mobiliser l’ensemble de la communauté médicale ».
En Europe, les résultats du réseau européen de surveillance de la résistance bactérienne aux antibiotiques (EARSS) montrent que la France fait partie « du petit nombre de pays où la proportion de SARM chez S. aureus a nettement diminué ces dernières années » (David Trystram et co.). S’agissant de la résistance de E. coli aux céphalosporines de 3e génération (C3G), la France occupe, en 2010, une « situation médiane », cependant « moins favorable » qu’en 2008 en raison d’une augmentation plus forte que dans les pays scandinaves. Pour la résistance de K. pneumoniae, elle est dans une « situation défavorable » puisqu’elle est passée du 5e au 15e rang en Europe entre 2005 et 2010. « Ceci suggère un contrôle insuffisant de la diffusion de ce type de résistance (majoritairement lié aux BLSE) chez ces deux espèces », soulignent les auteurs.
Une tendance à la reprise.
Depuis les années 2000, les autorités françaises ont entrepris des actions visant à maîtriser l’usage des antibiotiques. « Il en a résulté, au cours des dix dernières années, une baisse de leur consommation tant en ville qu’à l’hôpital », reconnaît Philippe Cavalié, de l’Agence nationale du médicament (ANSM). Mais cette baisse « a cependant été plus marquée au début de la période et, depuis quelques années, une tendance à la reprise se manifeste ».
Selon une analyse réalisée à partir des déclarations de ventes adressées par les laboratoires pharmaceutiques et les données issues de la CNAMTS, la consommation française ambulatoire apparaît très hétérogène. D’une région à l’autre, les écarts sont significatifs : les Pays-de-la-Loire ou Rhône-Alpes se situent parmi les régions dont les niveaux de consommation sont les plus modérés tandis que le Nord-Pas-de-Calais, et plus généralement, les régions du nord, sont celles où la consommation est la plus élevée. Les disparités sont également liées au sexe et à l’âge. Globalement, le niveau de consommation féminine jeune (entre 15 et 34 ans) est très supérieur à la moyenne nationale mais la consommation se stabilise à mesure que l’âge des femmes augmente. Toutefois, ce niveau augmente de nouveau lorsque les femmes dépassent l’âge de 74 ans.
Contrôle des prescriptions.
À la tendance à la reprise, « s’ajoute une seconde préoccupation, d’ordre qualitatif, liée à la progression en ville comme à l’hôpital de molécules qui sont qualifiées de réserves », écrit Philippe Cavalié. « L’augmentation de la consommation des céphalosporines de 3e génération est préoccupante car elle sélectionne plus facilement les entérobactéries sécrétrices de ß-lactamases à spectre étendu. À l’hôpital la forte progression de la consommation des carbapénèmes implique une surveillance accrue car de nouvelles souches résistantes sont apparues ». L’étude de Catherine Dumartin et co., qui se fonde sur le réseau ATB -Raisin 2008-2010, indique que les consommations d’antibiotiques ne diminuent pas dans les établissements de santé. Pourtant, il est possible de la diminuer comme le montre l’expérience d’une équipe pluridisciplinaire au CHU de Fort-de-France menée en 2011 (Murielle Galas et co.). Grâce à un contrôle des prescriptions, une réduction de la consommation des carbapénèmes de 48,2 % a été observée en un an, « correspondant à une économie de 119 222 euros ».
Pour la première fois, le Plan national d’alerte sur les antibiotiques (2011-2016) affiche un objectif quantifié de réduction de 25 % des consommations d’antibiotique en médecine humaine d’ici à son terme. La médecine vétérinaire partage le même but. « Les acteurs de la médecine vétérinaire ont engagé des modifications de pratiques en antibiothérapie », témoignent Anne Chevance (ANSES) et Gérard Moulin citant l’exemple du moratoire sur l’utilisation des céphalosporines chez le porc.
« La prise de conscience existe donc, mais n’est pas encore assez partagée par tous les professionnels de santé, par tous les décideurs et dans l’ensemble de la population », regrette Christian Rabaud qui soutient l’initiative de l’Alliance ACdeBMR de faire inscrire les antibiotiques au patrimoine mondial de l’humanité. Née en 2011, l’Alliance ACdeBMR réunit des professionnels de la médecine humaine et vétérinaire, du secteur agro-alimentaire et des usagers du système de soins pour informer et communiquer « au-delà du cercle des initiés ».
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation