« IL EST FASCINANT pour un chercheur de regarder une société être incapable de faire face à un problème aussi essentiel que l’augmentation de la violence de ses enfants et de ses adolescents », écrit Maurice Berger en conclusion de son dernier livre, « Soigner les enfants violents ». Le pédopsychiatre entreprend un retour sur l’expérience unique de son service de psychiatrie de l’enfant (Saint-Étienne) : 33 ans d’engagement pour soigner les enfants violents. « Aujourd’hui, les services de psychiatrie ne sont plus comme avant. Nous faisons face à une augmentation énorme de ces situations », explique-t-il au « Quotidien » en énumérant les courriers d’appel à l’aide qu’il reçoit de collègues, de responsables d’institutions pour mineurs.
Le Dr Berger fait un bilan sans concession du travail de son équipe avec des enfants dont le manque de culpabilité, l’absence de sentiment de honte et d’empathie compliquent considérablement les soins. « Malgré une recherche quotidienne sur cette question, malgré des dispositifs soignants et éducatifs sophistiqués, intensifs, de longue durée, il arrive que notre équipe ne parvienne pas à faire naître le moindre regret ou remords chez certains de ces sujets. La répétition de leur violence est donc probable, voire inéluctable », indique-t-il. Face à une protection de l’enfance inadaptée et trop centrée sur le noyau familial, la pédopsychiatrie peine à atteindre son but : aider l’enfant à se construire une pensée différenciée et autonome. Les professionnels sont d’ailleurs nombreux à juger la loi de mars 2007 réformant la protection de l’enfance comme un échec. Et pourtant, souligne Maurice Berger, il s’agit d’une question de santé publique. Les mauvais traitements, insuffisamment signalés et pris en charge, concerneraient directement ou indirectement 10 % de la population.
La violence contenue.
Certains passages du livre ont été élaborés à partir de cas concrets dont le récit, quoi que difficile, est d’un grand intérêt. Pour la première fois, le Dr Berger décrit, de manière précise, les différentes prises en charge des enfants violents (avant 12 ans) en commençant par donner une définition de la contenance. Car le pédopsychiatre l’assure : la contenance, accompagnée d’un dispositif d’écoute intensif, est le seul moyen de parvenir à stopper un sujet devenu inaccessible. Les psychothérapies individuelles, à raison d’une fois par semaine, sont « souvent inefficaces ». « C’est la contenance physique durable, c’est-à-dire éprouvée dans le temps, qui va permettre que la pensée apparaisse très progressivement à la place de l’acte ». Cette « révolution » pose toutefois le problème de la disponibilité d’une pièce à cet effet, « qu’on peut aussi nommer pièce d’apaisement puisque c’est sa fonction ». Mais en France, le frein est aussi idéologique, l’isolement étant vécu comme une forme de rejet. « Or il faut dire clairement que sans l’utilisation temporaire d’une pièce d’isolement, un certain nombre d’enfants ne pourront pas progresser », prévient le Dr Berger. Dans son service, l’approche corporelle est intégrée dans la démarche de soin. Le pédopsychiatre expose un travail de recherche original mené sur les troubles psychomoteurs présentés par les enfants négligés et violents. Ainsi, six enfants sur onze sont incapables de se tenir debout les yeux ouverts sans bouger; cinq sur neuf ne peuvent pas faire le lien entre une mimique et un sentiment ou une émotion; sept sur onze sont incapables de ramper, séquelles d’un maternage inadéquat.
Une maltraitance sournoise.
« La négligence n’est pas ce que l’on fait à un enfant, c’est ce qu’on ne lui fait pas », poursuit-il. Et ses répercussions considérables sont trop souvent ignorées en France. « Cette maltraitance sournoise est pourtant la principale cause de la violence », fulmine le Dr Berger qui prône également la continuité des intervenants afin de permettre à l’enfant de s’attacher à une « personne repère ». « Dans notre service, on demande aux soignants de s’engager moralement pendant neuf ans. En retour, on les paye en recherche », un bon moyen de faire face à l’usure, de valoriser chaque situation et de progresser au niveau théorique et clinique. Le pédopsychiatre donne aussi des idées d’actions de prévention. La mise en place, au sein du service, d’un groupe de mères (souvent d’origine immigrée) et d’enfants petits - dont la violence a été remarquée dès la première année d’admission en classe maternelle -, en est un bon exemple. Le but de ce groupe était d’apprendre aux mères à jouer avec leur enfant, « ce qu’aucune n’avait fait auparavant ». Une véritable gageure pour les soignants qui sont cependant arrivés à des résultats intéressants avec une baisse de la violence des enfants à l’école et une élévation de leur quotient de développement ainsi que des progrès nets au niveau du langage.
De manière générale, « l’aide à la parentalité n’est pas assez intensive et surtout, elle n’a pas d’axe directeur », constate le praticien en comparaison de ce qui se fait au Québec où des visites à domicile sont proposées aux parents avec l’utilisation de séquences vidéo. « Car malgré nos conseils, beaucoup de parents ne réalisent pas l’inadéquation de leur comportement éducatif tant qu’ils ne se voient pas. En France, on en reste au feeling », regrette-t-il. S’il reste sceptique sur la volonté politique (et médiatique) de traiter le problème des enfants violents, son livre démontre toutefois que cette question, aussi complexe soit-elle, peut et doit être examinée sans idéologie, à partir du savoir et de l’expérience.
« Soigner les enfants violents », Maurice Berger, Ed. Dunod, 2012, 23 euros.
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