LE QUOTIDIEN : Qu’est-ce qui vous a poussée à mettre sur papier l’histoire de ces femmes ?
HÉLÈNE MERLE-BÉRAL : L’idée m’est venue après avoir découvert le parcours de la neurologue Italienne Rita Levi-Montalcini, qui a reçu le prix Nobel de physiologie en 1986. Elle raconte son histoire dans son livre « Éloge de l’imperfection ». J’ai été tellement impressionnée par les conditions de vie dans lesquelles elle a réussi à entreprendre une carrière si extraordinaire. D'une part, naître femme dans l'Italie bourgeoise et bien pensante du début du XXe siècle ; à cette époque en Europe les écoles pour filles étaient très différentes des écoles pour garçons - théoriquement elles avaient le droit de s’inscrire à la faculté mais, en fait, elles n’avaient pas le niveau ! Donc il fallait qu’elles soient très motivées, passer un an ou deux à rattraper leur retard toutes seules pour pouvoir entrer à la faculté dans des disciplines scientifiques. Jeune fille, Rita Levi-Montalcini a dû combattre les objections de son père, très traditionnel, et plus tard la misogynie du système, parfois violente, en tout cas officielle et légalisée. Mais elle a aussi dû lutter pour sa survie sous le joug du fascisme et du nazisme, s’expatrier et se cacher pendant des années… Et troisième combat : continuer à faire de la recherche, dans des conditions parfois acrobatiques, et faire reconnaître sa grande découverte. Cette femme n’a cessé de se battre ! Du coup je me suis demandé combien d’autres femmes avaient pu faire ce cheminement ? Avaient-elles toutes des parcours aussi atypiques ? Qui étaient-elles ?
Et en étudiant ces femmes, est-ce possible de trouver un point commun ?
De toute évidence, il y a la curiosité intellectuelle. Fondamentale, permanente. Elles veulent comprendre et participer à la compréhension de l’univers, percevoir tous les mystères de la nature. C’est une constante chez toutes ces femmes, parfois dès la plus jeune enfance. Et jusqu’à la fin de leurs jours, elles ont continué. C’est aussi la passion - ces femmes, malgré toutes les barrières, elles étaient heureuses.
Si les barrières dont vous parlez étaient autrefois institutionnalisées, la situation s’est améliorée pour les femmes à la fin du XXe siècle… Alors pourquoi sont-elles toujours aussi peu nombreuses à être nobélisées, notamment en science ?
Oui la situation s’est nettement améliorée, heureusement, mais même si on a l’égalité dans la scolarité et dans l’université, certains stéréotypes persistent… Tenez, une enquête, réalisée par Opinionways l’année dernière, demandait aux Européens s’ils pensaient que les femmes étaient capables de faire des études scientifiques supérieures comme les hommes : 2/3 - autant les hommes que les femmes - ont répondu que les hommes sont davantage faits pour les matières scientifiques. Les gens continuent à prétendre qu’il y a des différences constitutives qui orienteraient davantage les femmes vers les qualités artistiques et intuitives, et les hommes vers le rationalisme, alors que ce n’est pas du tout vérifié par les neurophysiologistes. Je pense que la société est tellement imbibée par ce genre de remarques que les femmes ont intériorisé cette idée, elles s’infligent une autocensure. Certes elles s’inscrivent à la fac, mais elles ne font pas carrière. Dans certains domaines, notamment en physique et en chimie, on trouve encore une grande part de misogynie… Un terme a même été inventé « l’effet Mathilda », qui stipule que si une femme et un homme font la même découverte, c’est l’homme que l’on valorisera socialement.
L'augmentation notable du nombre de femmes dans les filières scientifiques ne s'est pas reflétée dans les attributions du Nobel - en sciences elles ne sont que 17 sur 583 !
Et puis tout dépend aussi du mode de vie qu'elles choisissent. Les femmes qui veulent passer un peu de temps avec leurs enfants ont souvent un sérieux handicap par rapport à leurs collègues masculins, qui eux sont en général très disponibles pour leurs activités professionnelles. Aujourd’hui encore, je ne pense pas qu’on puisse y arriver avec trois enfants mais je pense que le fossé est en train de se combler. Je suis assez optimiste.
Hélène Merle-Béral, 17 femmes Prix Nobel de sciences, Éditions Odile Jacob 22,90 euros.
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