La crise joue les prolongations

Les Grecs et nous

Publié le 06/10/2011
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Crédit photo : AFP

IL EST DIFFICILE de dire à qui la sévère prudence de l’Europe nuit le plus : à la Grèce ou à la zone euro ? Le plan grec d’austérité a certes réduit les dépenses de l’État, mais à quel prix ! Le produit intérieur est en chute libre, manifestations et émeutes se multiplient à Athènes, la pauvreté se répand comme un incendie de pinède et les économies réalisées éliminent toute perspective de croissance. Pendant que l’on discute intensément sur les efforts insuffisants de la Grèce, sur son incapacité à faire régner l’ordre du fisc, sur ses structures informes qui font de l’évasion fiscale un comportement génétique, on semble ignorer la vérité simple, à savoir que la Grèce ne pourra pas rembourser sa dette, pas plus que d’autres pays beaucoup plus endettés en valeur absolue. Là où il faudrait un traitement de la crise de la dette souveraine en Europe, conçu et mis en œuvre par les Européens eux-mêmes, on ne voit qu’une conversation interminable sur quelque huit milliards (à comparer aux 300 de la dette grecque totale) que les dirigeants de la zone euro, divisés, ne sont même pas fichus d’accorder à Athènes, moins pour apporter un soulagement provisoire à la Grèce que pour calmer leurs propres marchés, qui ne cessent de sombrer.

Une vieille question.

Au nom de la rigueur et d’une vertu financière à laquelle personne ne s’est référé pendant trente ans et en dépit des critères de Maastricht, on exige d’une Grèce famélique une sorte de révolution mentale, certes nécessaire, mais qu’elle ne saurait lancer instantanément. On peut, comme les conservateurs allemands, adresser aux citoyens grecs les reproches les plus humiliants. On ne peut pas ignorer que, si nous les abandonnons à leur sort, c’en est fini de nos propres équilibres. Si la Grèce sort de la zone euro, l’euro sombrera et, avec lui, l’économie européenne. Ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut rappeler Athènes à ses devoirs. La question est plus ancienne et porte sur l’élargissement imprudent de l’Union européenne. On constate que, minés par la montée de l’extrême-droite, plusieurs gouvernements qui croyaient voir dans l’UE l’accès à une vive croissance et à des aides financières, en refusent aujourd’hui les diverses contraintes, comme s’ils avaient le droit de ne prendre de l’Europe que ce qui leur convient et de rejeter ce qui leur coûte. On paie aujourd’hui la légèreté avec laquelle on a admis au sein de l’Union, puis de la zone euro, des pays qui, comme la Grèce, ont truqué leurs comptes (comme si l’Allemagne et la France étaient dupes du stratagème à l’époque). Pour avoir été les complices des Grecs, nous ne saurions nous conduire aujourd’hui uniquement comme ses censeurs.

D’autant qu’il y a deux Grèce : celle des pauvres ou de la classe moyenne qui sont accablés par les réductions de salaires et les augmentations d’impôts, et celle des riches ou des privilégiés qui pullulent dans un pays sans cadastre où l’on peut construire une belle villa sans en jamais déclarer l’existence, celle d’une Église orthodoxe riche à milliards mais défiscalisée ou celle des armateurs, grande activité nationale qui ne peut prospérer que si elle échappe à toute imposition. Il est affreusement injuste de reprocher aux salariés ou aux chômeurs grecs d’être des fainénants. Il serait préférable que, s’il en a la force, le gouvernement de Georges Papandréou amène à résipiscence d’archaïques oligarchies.

LE PROBLÈME GREC EST LE PLUS FACILE À RÉSOUDRE

Et il serait judicieux que nous-mêmes, partenaires européens de la Grèce, nous la sauvions pour nous sauver nous-mêmes. L’alternative n’est pas un moment désagréable à passer, ni même une réduction de notre traiun de vie. Ce serait l’effondrement de nos structures financières, banques et compagnies d’assurances, et la disparition de nos épargnes familiales. Il serait presque normal que, face à une crise d’une telle ampleur, la seconde en trois ans, la panique dicte des remèdes plus dangereux que le mal. Il est normal que le Front national, par exemple, prône la disparition de l’euro, la fermeture de nos frontières commerciales et le choix de l’autarcie : comment conjurer le désespoir sinon par une invention éblouissante ? Mais de telles solutions ne résistent pas à la première analyse. Le retour au franc se traduirait par une immédiate dévaluation de notre monnaie nationale (d’au moins 20 %) et renchérirait d’autant notre dette libellée en euros, ou même en dollars. Alors qu’il existe une solution politique au problème de l’endettement : c’est le coup d’arrêt volontariste à la perte de confiance générale. En réalité, le problème grec est le plus facile à résoudre. C’est en Grèce qu’il faut porter le fer pour empêcher que s’ouvrent de nouveaux et mortels terrains de bataille.

RICHARD LISCIA

Source : Le Quotidien du Médecin: 9019