CHAQUE ANNÉE en France, 75 000 femmes sont violées. « Ce chiffre très élevé montre que le viol ne se réduit pas à une histoire individuelle, » rappellent trois associations, le Collectif féministe contre le viol (CFCV), Mix-Cité et Osez le féminisme. Afin de permettre que « la honte dont souffrent les victimes de viol change de camp », ces trois associations lancent aujourd’hui, à la veille de la journée mondiale contre les violences, un manifeste et une campagne nationale d’action et de sensibilisation. Plus d’une centaine de femmes, connues ou pas, sont signataires de ce manifeste (contreleviol.fr), parmi lesquelles les actrices Zabou Breitman, Isabelle Carré, Marina Foïs mais aussi l’avocate Gisèle Halimi et l’humoriste Florence Foresti. « Une femme sur 10 a été violée ou le sera au cours de sa vie. Dans 8 cas sur 10, l’agresseur est connu de la victime. Le viol n’est pas une fatalité. Il est le signe d’une société profondément sexiste », dénonce le manifeste.
En dehors des urgences nocturnes, « les médecins sont le plus souvent les premiers interlocuteurs des femmes », souligne le Pr Roger Henrion, président de l’Académie de médecine, qui, à l’occasion de cette journée mondiale de lutte contre les violences envers les femmes, exprime sa « complète adhésion et sa participation ». « Curieusement, auparavant, les violences ne semblaient pas intéresser » les praticiens, note le Pr Henrion. Pourtant, ces derniers jouent « un rôle clé dans le dépistage, le recueil de l’histoire, le constat des lésions. Ils ont aussi un rôle stratégique en donnant des conseils aux femmes, en les informant de leurs droits et en les orientant au mieux des circonstances, sans malheureusement avoir jamais reçu la moindre formation au cours de leurs études », regrette le président.
Médecin départemental de PMI en Seine-Saint-Denis, le Dr Emmanuelle Piet, qui coordonne depuis 25 ans l’activité des 122 centres de planification familiale, rappelle les faits qui font violence. Dans sa Déclaration sur l’élimination de la violence contre les femmes, adoptée en 1993, l’ONU parle d’actes fondés sur l’appartenance au sexe féminin, « causant ou susceptible de causer aux femmes des dommages ou des souffrances physiques, sexuelles ou psychologiques, et comprenant la menace de tels actes, la contrainte ou la privation arbitraire de liberté, que ce soit dans la vie publique ou dans la vie privée ».
Poser les questions.
En France, grâce à la mobilisation des féministes, une définition pénale est donnée pour le viol en 1980 avec la possibilité pour des associations de se constituer partie civile. « En 1985, à la suite de viols perpétrés en public devant des témoins passifs, la mobilisation reprend. Choquées de constater que rien n’existe pour accueillir les femmes victimes de viol, fortes de notre expérience d’accueil et d’écoute des femmes, nous formons le projet d’ouvrir une permanence téléphonique », indique le Dr Piet, qui préside le Collectif féministe contre le viol (CFCV), association créée en 1985. La permanence téléphonique Viols-Femmes-Information ouvre le 8 mars 1986 et jusqu’à aujourd’hui, plus de 39 000 femmes ont appelé le 0800.05.95.95.
À partir des appels reçus, le CFCV produit des études et des recherches publiées dans un bulletin consultable sur cfcv.asso.fr. « C’est à partir de tous ces appels que je voudrais dire que le viol est fréquent, que le viol abîme, et que nous pouvons dépister et traiter... La recommandation du rapport Henrion* reste pleinement d’actualité : en matière de viol aussi il faut poser les questions pour avoir les réponses », indique le Dr Piet. « Lorsqu’une femme a été victime de viol et qu’elle se confie au médecin, elle a besoin (de s’entendre dire) que l’agresseur n’avait pas le droit de faire ça, qu’elle n’y est pour rien et qu’on peut l’aider. » Cette aide consiste notamment à informer la victime sur les troubles spécifiques et les manifestations de son état de stress post-traumatique. « Nous avons aussi à expliquer les processus qui accompagnent le fait de subit de graves violences », poursuit Emmanuelle Piet.
« La prise en charge, c’est aussi ne pas rester seul, connaître le réseau Victimo**, les associations qui travaillent sur ces questions, les services hospitaliers qui prennent en charge ces victimes, les faire connaître aux patientes, mettre à disposition des dépliants, afficher des informations », énumère la praticienne engagée. Enfin, conclut-elle, « il semblerait hautement souhaitable que l’Académie rappelle que les relations sexuelles entre médecin et patiente ne sont jamais thérapeutiques et contreviennent à la déontologie ».
* Rapport de février 2001 « Les femmes victimes de violences conjugales, le rôle des professionnels de santé ».
** Ce réseau de santé, fondé en mai 200, regroupe des centres de psychotraumatologie et des associations de lutte contre les violences faites aux femmes et d’accompagnement social et judiciaire (victimo.fr).
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