LES GÉNÉRALISTES sont les premiers professionnels de santé à être consultés par des patients souffrant de dépression. En première ligne, loin devant psychiatres et psychologues, quels choix thérapeutiques font-ils ? La DREES publie les résultats d’une enquête réalisée de septembre à décembre 2011, sur un panel de 2 114 généralistes libéraux. Chaque semaine, ces médecins traitent le mal-être, qu’il se manifeste par de la souffrance psychique (72 %), des troubles anxieux (82 %) ou un état dépressif (67 %). Ils sont 8 sur 10 à avoir été confrontés à la tentative de suicide d’un de leurs patients ces 5 dernières années, et la moitié ont connu un suicide dans leur patientèle.
La souffrance psychique est donc devenue leur quotidien. Les 3/4 des généralistes ont déjà suivi une formation en santé mentale. Aussi, lorsque les chercheurs leur ont soumis un cas fictif de dépression (dans plusieurs versions au degré de sévérité variable), plus de 9 sur 10 ont déclaré assurer eux-mêmes la prise en charge. Les généralistes se tournent majoritairement (plus de 8 sur 10) vers une prise en charge médicamenteuse. Les antidépresseurs sont rois : Ils sont prescrits par 66 % des libéraux dans les cas sévères, et 61 % pour les moins sévères. « Un constat plutôt à contre-courant des recommandations de bonne pratique », dénoncent les enquêteurs. « Pourtant l’efficacité des antidépresseurs n’a pas été démontrée dans le traitement des dépressions légères », poursuivent-ils.
Le traitement incontournable.
La stratégie privilégiée est l’association d’un antidépresseur et d’un anxiolytique ou d’un hypnotique. Entre 5 et 7 généralistes sur 10 y recourent selon la sévérité de la dépression. Une pratique encore hors des clous, précise la DREES : nul symptôme justifiant la coprescription n’était mentionné. Les généralistes sont enfin 25 % à prescrire uniquement un anxiolytique ou un hypnotique quand la dépression n’est pas sévère. Or ce type de médicament prescrit isolément n’a pas d’autorisation de mise sur le marché pour la dépression.
« Ces résultats suggèrent que les antidépresseurs sont perçus par la majorité des généralistes comme le traitement incontournable de la dépression quelle que soit sa sévérité », conclut la DREES.
A contrario, rares (4 %) sont les généralistes à recommander une psychothérapie seule en cas de dépression légère (elle est pourtant préconisée) ou sévère (3 %). Ils la suggèrent beaucoup plus facilement (47 %) parallèlement à un traitement médicamenteux. Les 2/3 d’entre eux proposent eux-mêmes d’assumer un soutien psychologique, bien que les recommandations ne l’évoque pas.
Les habitudes de prescriptions des généralistes sont complexes à expliquer. Alors qu’ils tournent le dos aux thérapies non médicamenteuses, ils sont 71 % à déclarer que « seules, les psychothérapies constituent un traitement efficace des dépressions d’intensité légère », et 72 % à ajouter « au même titre que les médicaments ». Les chercheurs expliquent le fossé entre ces déclarations et la pratique par l’accès aux psychothérapeutes. Les généralistes évoquent de nombreux freins, comme le non-remboursement des consultations avec un psychologue (91 %), les délais d’obtention des rendez-vous avec un psychiatre (79 %) et la réticence de certains patients à suivre une psychothérapie (76 %). La densité de psychiatres libéraux sur le territoire influence aussi la perception de l’accès aux thérapies et les relations entre thérapeutes et généralistes.
Des choix parfois subjectifs.
Mais d’autres facteurs plus subjectifs entrent en jeu. Près des 2/3 des médecins considèrent par exemple que les psychothérapies ne conviennent qu’aux patients jouissant d’un niveau culturel élevé, ce qui « reflète un jugement préconçu », estime la DREES. D’autre part, les généralistes conscients d’une surprescription d’antidépresseurs en France, ou ceux qui ont suivi une psychothérapie, sont plus réticents à recourir aux médicaments. Le genre féminin des médecins conduirait aussi à une moindre prescription d’antidépresseurs dans les cas de dépressions peu sévères : « les femmes reçoivent leurs patients plus longtemps en consultation, sont davantage à l’écoute et centrées sur le patient que les hommes », peut-on lire. Pour les dépressions sévères, les généralistes peu enclins à conseiller une psychothérapie en complément s’estiment souvent suffisamment formés sur le diagnostic et le traitement d’une dépression, ou ne sont pas satisfaits de leurs relations avec les psychothérapeutes.
La DREES voit dans l’importance de ces motifs personnels un obstacle aux modifications des habitudes de prescription. Moins d’une personne sur 4 souffrant de dépression et ayant consulté un médecin généraliste est diagnostiquée et traitée de façon appropriée, rappelle-t-elle. *
* Briffault, X. et al.,2009, « Factors associated with treatment adequacy of major depressive episodes in France », Encephale 36 Suppl 2:D59-72.
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