Les patients souffrant de troubles psychiques, reconnus tardivement prioritaires pour la vaccination, sont-ils plus à risque de contracter le Covid-19 ? Ou du moins de développer des formes graves ? Le poids de l'infection à SARS-CoV-2 chez ces patients ainsi que les facteurs protecteurs qui pourraient leur être propres ne cessent de susciter des interrogations. Ces liens ont fait l'objet d'une session lors du 18e congrès de l'Association nationale pour la promotion des soins somatiques en santé mentale (ANP3SM), qui s'est tenu à Paris les 28 et 29 juin.
Comme le rappelle la Dr Anne-Cécile Petit (psychiatre, GHU Paris psychiatrie et neurosciences), « nous avons eu très peur pour nos patients lors de la première vague du Covid. Or, les unités spécifiques que nous avons ouvertes se sont peu remplies ». Pour objectiver ce constat empirique, visiblement contradictoire par rapport à certaines études reposant sur le big data (limitées, faute de données sur le mode de vie des patients, leur suivi psy, etc., selon la Dr Petit), son équipe a mené une étude de cohorte auprès de 397 personnes.
Moindres incidence et prévalence
Quelque 203 patients et 194 soignants (considérés comme groupe contrôle) ont été suivis pendant 6 mois à partir de mai 2020, à travers des sérologies Covid régulières et des questionnaires sur les symptômes. Résultats : 11 % des patients ont eu des PCR positives versus 31 % des soignants - alors que les patients étaient davantage testés, précise la Dr Petit. Quant à la séroprévalence, elle était de 11,4 % chez les patients versus 24,7 % chez les soignants, qui étaient aussi plus nombreux à déclarer des symptômes par questionnaire (51 versus 20 %).
L'équipe s'est ensuite penchée sur les potentiels facteurs protecteurs de cette population spécifique. « Le tabac et la nicotine (OR de 0,29), l'existence d'un trouble psy (OR de 0,49) et la prise de psychotropes sont associés à une moindre infection, ainsi que l'isolement, même si c'est moins significatif », analyse la Dr Petit.
Les psychotropes ont-ils des effets antiviraux qui en feraient des candidats pertinents à repositionner dans la lutte contre le SARS-CoV-2 ? Empêchent-ils le virus d'entrer ou de faire des formes graves ? Les pistes et les rationnels sont prometteurs, mais faute d'essais cliniques, il reste difficile de conclure.
Des essais cliniques à la peine, pour les psychotropes et la nicotine
Dès avril 2020, l'équipe de la Dr Marion Plaze et du Dr David Attali (GHU Paris psychiatrie et neurosciences) s'est intéressée à la chlorpromazine (Largactil), au sujet de laquelle la littérature a montré des effets contre le SARS-CoV-1 et le MERS-CoV et plus largement dans l'inhibition de l'endocytose dépendante des clathrines. En lien avec l'Institut Pasteur, les psychiatres ont même pu montrer son efficacité contre le SARS-CoV-2 sur des cellules pulmonaires humaines, in vitro. Mais ils n'ont pu conduire d'essais cliniques. À défaut, « une étude clinique rétrospective auprès de 120 patients d'un foyer brésilien (dont 40 % symptomatiques et 7 % avec une forme grave) semble montrer un effet aggravant de la clozapine qui jouerait sur l'immunomodulation. En revanche, la chlorpromazine semble avoir sur le plan clinique un effet protecteur, mais il faut trancher cela par des essais cliniques », a résumé le Dr Attali. Selon lui, une seule étude randomisée en double aveugle, américaine, a porté sur un antidépresseur, la fluvoxamine. Et montré, sur 152 patients Covid hospitalisés en ambulatoire, une aggravation de 8 % d'entre eux sous placebo, versus aucun sous fluvoxamine.
Quant au tabac, la seule connaissance sûre « est qu'il tue (plus que le Covid) et que fumer ne sera jamais une solution », a insisté le Pr Raphaël Gaillard (Université de Paris, GHU Paris psychiatrie et neurosciences). Néanmoins, plusieurs études ont mis en lumière une sous-représentation des fumeurs quotidiens chez les patients Covid, voire un effet « permanence de l'exposition » à la nicotine. « Il y a un rôle très probable du tabac sur l'incidence de la maladie, mais plus contradictoire sur la sévérité de la maladie », a rappelé le Pr Gaillard. Encore une fois des essais cliniques sont nécessaires pour approfondir ces liens : trois ont été menés à l'AH-HP, Nicovid Prev (auprès des soignants non-fumeurs), Nicovid Hop (pour les hospitalisés) et Nicovid Réa (pour les patients en réanimation). « Mais cela a pris beaucoup trop de temps et seul Nicovid-Réa a pu être mené à bien », a regretté le Pr Gaillard.
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