LE QUOTIDIEN DU MÉDECIN - Quelle est la principale conclusion de l’étude PRI2DE ?
Dr LAURENT MICHEL - L’étude met clairement en évidence le décalage existant entre les mesures préconisées et la réalité des pratiques. Les recommandations nationales qui encadrent la prévention du risque infectieux datent de 1996 (réactualisé en 2004) qui concernent surtout le VIH et moins les Hépatites, sont en retrait par rapport aux recommandations internationales de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Même en en respectant intégralement les recommandations françaises, le résultat serait en façon très en deçà des standards exigés par les recommandations internationales. De plus, la loi du 18 janvier 1994 qui transfert l’organisation des soins du ministère de la Justice à celui de la Santé demande qu’il n’y ait équivalence de soins entre le milieu ouvert et la prison. Ce n’est pas le cas. Un certain nombre de mesures dont les programmes d’échanges de seringues qui existent en milieu ouvert ne sont pas disponibles en prison.
Les programmes d’échanges de seringues semblent poser problème en prison ?
Il y a, à mon avis, un problème de reconnaissance de la réalité des pratiques à risques en détention notamment celles liées à l’usage de drogues. Ces pratiques sont certainement moins fréquentes qu’à l’extérieur mais ceux le font prennent beaucoup plus de risques qu’à l’extérieur. Les outils proposés en prison ne sont pas adaptés. L’eau de javel est censée permettre la stérilisation mais son utilisation nécessite un protocole de désinfection qui prend un peu de temps. Or cette pratique reste clandestine en prison. Un détenu en train de stériliser une seringue, est sanctionné. Les programmes d’échanges de seringues seraient plus adaptés mais sont associés à une forte charge négative : la seringue qui peut être utilisée comme une arme. Tous les travaux internationaux montrent qu’il s’agit d’un pur fantasme. Les lames de rasoir qui sont distribuées largement en rétention, sont largement plus dangereuses. D’autre part, du côté des pouvoirs publics, admettre de tels programmes risque d’être interprété comme une démission annoncée face à une politique de lutte contre les drogues. En 2008, 14 % des condamnations l’ont été pour infraction à la législation des stupéfiants et dans un cas sur 3, il y a eu une incarcération.
Quel est la prévalence de l’usage de drogues en prison ?
La prévalence de l’usage de drogues est d’environ 30 % chez les détenus entrants et cela inclut le cannabis. L’usage de drogues illicites (cocaïne ou héroïne), est certes en diminution avec un moindre recours à la voie injectable chez les détenus entrant mais les indicateurs, certes indirects mais concordants entre PRI2DE et l’étude PREVACAR, laisse penser que les pratiques d’injection existe en détention. Environ 18 % des UCSA (Unité de consultation et de soins ambulatoires) déclarent avoir eu connaissance de découvertes de seringues usagées au cours des 12 derniers mois. La population carcérale est une population à fort risque infectieux. La prévalence de l’usage de drogues dans cette population, tout comme la précarité ou les comorbidités psychiatriques sont autant de facteurs qui concourent à ce risque. L’étude PREVACAR montre une prévalence de l’hépatite C de l’ordre de 4,8 % donc 6 fois plus élevée en prison qu’en population générale et du VIH, de 2 % donc 10 fois plus qu’en population générale.
Vous appelez à une rédéfinition de la politique de soins et de prévention en prison. Quelles seraient les grandes lignes ?
Les outils de réduction des risques en milieu pénitentiaire existent mais sont peu investis, mal connus aussi bien par les personnels sanitaires que pénitentiaires et par les détenus. Il y a d’autres priorités et d’autres sur le plan sanitaire. Je pense qu’il faut une vraie politique de santé publique axée sur la prison.
Il est urgent de mener une réflexion en profondeur. Le plan d’action stratégique 2010-2014 qui porte sur la santé des détenus, prévoit une évaluation des dispositifs actuels et un ajustement si nécessaire. Cette évaluation repose notamment sur les résultats de l’enquête PREVACAR et PRI2DE. On peut espérer que les conclusions pourront être tirées.
Les médecins seront-ils partie prenante de ce type de réflexion ?
Je crois que les médecins sont sensibilisés à cette question, en ont connaissance et en ont conscience mais ils sont débordés faute de temps et de moyens et de temps pour assurer cette mission supplémentaire. Il faut aussi de moyens suffisants notamment pour motiver et mieux former les équipes soignantes.
* « le Quotidien » du 14 octobre 2011.
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation