Après la suspension du laboratoire Genopharm par l’Afssaps

Les psychiatres de rues veulent sauver leur médicament

Publié le 02/04/2012
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Crédit photo : AFP

SEUL TRAITEMENT neuroleptique retard à forme orale jamais inventé et commercialisé, le Semap (penfluridol) pourrait bientôt disparaître de la pharmacopée française. Responsable de l’équipe mobile de psychiatrie au CHU de Pointe-à-Pitre, le Dr Scheider confie ne plus disposer que de 200 comprimés dans son établissement. Le Dr Alain Mercuel, responsable du service d’appui « santé mentale et exclusion sociale » à l’hôpital Sainte-Anne (Paris) n’aura bientôt plus de Semap dans quelques semaines. « Sans ce médicament, on est obligé de se rabattre sur les produits à prise quotidienne, ce qui n’est pas simple pour les patients en situation de précarité. Certains vont refuser de prendre le produit tous les jours ou deux fois par jour », explique-t-il. Efficace sept jours dans le traitement de la schizophrénie, ce médicament de seconde intention est très utilisé par les équipes mobiles de psychiatrie pour les malades difficiles qui ne s’adaptent ni au traitement oral quotidien ni autres traitements retard, tous sous forme injectable intramusculaire. « Quand je vois dans la rue une personne délirante SDF, je ne peux pas lui proposer de piqûre. En revanche, un cachet qui fait effet pendant une semaine est une forme d’accès au soin tout à fait acceptable par le malade à la rue. Sans le penfluridol, je n’ai aucun autre médicament qui réponde à ce contexte-là. C’est le seul dans sa classe », souligne le Dr Scheider. « D’un point de vue scientifique, on n’a jamais rien eu à reprocher à ce médicament qui souffre surtout d’un problème commercial », ajoute-t-il. Beaucoup moins onéreux que les traitements retard injectables (0,20 à 0,60 euro par jour contre plus d’une dizaine d’euros), le penfluridol est demeuré limité en pratique à une minorité de praticiens. « Depuis le début, c’est un médicament utilisé par un cercle d’initiés. Il a ses partisans, avec des professionnels qui savent le manier. Certains n’ont eu ou n’auront, de toute leur carrière, jamais à le prescrire. Tout dépend de la pratique de chacun. Il faut reconnaître que la molécule n’a bénéficié d’aucune publicité », poursuit le Dr Scheider. Avec le Dr Alain Mercuel et d’autres praticiens, il fait partie du comité Penfluridol France créé en 2009, lorsque la molécule connaît ses premiers déboires.

Fin de commercialisation.

Mis sur le marché en 1972 par Johnson & Johnson, ce produit est très vite relégué au second plan du portefeuille produits du laboratoire. Avec 20 000 prescriptions annuelles au regard des 20 millions de boîtes de neuroleptiques et d’antipsychotiques vendues chaque année en France, le Semap est plutôt confidentiel. Janssen-Cilag, filiale européenne du groupe américain décide la fin de la fabrication et de la commercialisation de la spécialité. À la demande de l’AFSSAPS, des stocks de Semap encore disponibles à l’étranger sont mis à disposition des médecins, à titre exceptionnel, par Janssen-Cilag via des pharmacies hospitalières en mars 2007. Un an plus tard, en février 2008, face à la crainte d’une rupture de stocks, des psychiatres lancent une pétition sur Internet et demandent aux autorités sanitaires de « sauver » ce produit sans alternative thérapeutique et essentiel dans la prise en charge des patients schizophrènes en situation de précarité. Le Comité penfluridol France est créé en mai 2009. La filiale de Johnson & Johnson engage alors des démarches visant à céder la fabrication et la commercialisation du penfluridol à un autre laboratoire.

En septembre 2010, l’AMM du produit est transférée à la société Alkopharma (Luxembourg) qui confie l’exploitation du médicament au Français Genopharm (Saint-Thibault-des-Vignes) et la fabrication au laboratoire Alkopharm (Blois). Les deux firmes s’engagent dans un premier temps à continuer de distribuer aux pharmacies hospitalières les stocks de Semap importés avant d’engager la reprise de fabrication et de remettre à disposition le produit dans les pharmacies de ville. Un seul lot est finalement fabriqué en 2011,une année noire pour Genopharm et Alkopharm.

L’épisode du Thiotepa.

En novembre dernier, le parquet de Paris ouvre une information judiciaire après la plainte du laboratoire allemand Riemser qui accuse Genopharm d’avoir sciemment commercialisé des lots périmés de Thiotepa, un anticancéreux fabriqué par Riemser. Alertée par la firme allemande, l’AFSSAPS annonce le 20 décembre la suspension de l’ensemble des activités des laboratoires Genopharm et Alkopharm en France, « en raison de manquements graves à la réglementation en vigueur ». L’agence décide de rappeler au 10 janvier les lots de médicaments fabriqués et distribués par ces firmes dont l’indisponibilité immédiate n’engendre aucune conséquence importante dans le traitement des patients concernés. Pour la trentaine de médicaments sans alternatives thérapeutiques exploités par Genopharm, l’agence fixe un délai maximal de quatre mois (jusqu’au 20 avril 2012) le temps pour les titulaires des AMM (Alkopharma, Pinnacle Biologics, AP-HP, Aspen GmbH), de « régulariser la situation des activités d’exploitation et de fabrication » des produits. Une dizaine de spécialités est d’ores et déjà en rupture d’approvisionnement dont le Semap. Le 29 février dernier, un stock de Semap importé de Belgique est mis à disposition des hôpitaux tandis qu’un courrier d’information de l’AFSSAPS adressé le même jour aux psychiatres et aux pharmaciens hospitaliers alerte sur le « risque de rupture d’approvisionnement de longue durée en Semap 20 mg ». L’agence précise qu’ « une éventuelle reprise de la production par Alkopharm ne pourrait aboutir avant plusieurs mois, tant sur le plan technique que sur le plan réglementaire » et aucun stock de cette spécialité ou d’autres spécialités à base de penfluridol disponibles à l’étranger n’a été identifié par ses services.

À l’AFSSAPS, le 6 avril.

La disparition du Semap de la pharmacopée française n’est plus qu’une question de mois voire de semaines. L’FFSAPS demandait aux psychiatres de réévaluer les traitements en cours « afin d’envisager rapidement les changements imposés par cette indisponibilité ». Ce postulat de l’AFSSAPS fait alors réagir le comité Penfluridol France qui dans dans un courrier adressé au directeur général adjoint de l’agence, François Hebert, explique : « Il semblerait que la branche Johnson & Johnson India (…) assure en Inde la fabrication et la commercialisation du Semap à très bas coût, entre 0,02 et 0,06 euro par jour. » Le comité évoque également une version génériquée du Semap, commercialisée en Inde par le laboratoire Torrent Pharma. « La politique mondiale de Johnson & Johnson a été d’orienter le Semap sur l’Inde tout en supprimant la mise à disposition du produit en Europe où l’on peut acheter des antipsychotiques à effet retard beaucoup plus chers », déplore le Dr Frédéric Scheider. « On a un peu l’impression qu’il n’y a pas eu véritablement d’enquête de l’AFSSAPS à l’étranger », considère-t-il. Le 6 avril prochain, le Comité sera reçu à l’agence par Dominique Maraninchi et François Hebert. « Ce qui nous importe c’est de défendre un concept de médicament pour nos malades qui va manquer à notre trousse thérapeutique. Pour obtenir du penfluridol extrêmement vite, il faudrait selon nous attribuer une autorisation en France à ces médicaments indiens. Ce n’est pas un problème technique mais un problème commercial et d’autorisation administrative », conclut le Dr Scheider.

 DAVID BILHAUT

Source : Le Quotidien du Médecin: 9108