C’EST DONC la Guadeloupe, qui a eu la lourde tâche de conclure le premier cycle des Journées de la Cire Antilles-Guyane inaugurées il y a six ans en Martinique avant une halte en Guyane. Plus d’une centaine d’acteurs de la vielle sanitaire y ont participé. « C’est une grande satisfaction de voir que ces journées attirent de plus de propositions communications (70) dans des domaines variés allant des maladies infectieuses à la santé environnement en passant par les maladies chroniques comme le cancer et la santé publique », s’est réjoui Martine Ledrans, nouvelle coordinatrice scientifique depuis 2011. La diversité des intervenants, épidémiologistes, professionnels de santé publique, médecins mais aussi sociologues et épidémiologistes a, elle, témoigné d’une multidisciplinarité et d’une articulation nécessaire entre recherche et veille sanitaire.
« Sans connaissances nouvelles pas de santé publique de qualité », a d’ailleurs affirmé le Dr Jean-Claude Desenclos, directeur scientifique adjoint à la directrice générale de l’Institut de veille sanitaire (InVS) lors de la session plénière d’ouverture coanimée avec le Dr Luc Multigner, chercheur à l’INSERM (U1085-IRSET) qui a coordonné les études sur les effets sur la santé de l’exposition des populations au chlordécone.
Karuprostate et timoun.
La question du chlordécone est de ce point de vue emblématique. Les études menées dans le laboratoire de la faculté de médecine de L’UAG à Fouillole (Pointe-à-Pitre) - Karuporostate publiée en 2010 dans « Journal of Clinical Oncology » et plus récemment Timoun parue dans « Environnemental Research » - ont permis d’une part, de montrer que l’exposition au chlordécone est un facteur de risque de survenue du cancer de la prostate, et d’autre part, qu’une exposition maternelle pendant la grossesse avait un impact négatif sur le développement psychomoteur de l’enfant. « Ces premières études n’apportent pas d’éléments nouveaux concernant l’évaluation des risques et la gestion des risques », prévient toutefois le chercheur. Pour cela, de nouvelles recherches seront nécessaires. Des résultats devraient d’ailleurs être prochainement publiés. En revanche, les données déjà disponibles permettent « de justifier a posteriori les mesures de protection et de réduction des expositions » prévues dans le plan Chordécone ; ces mesures doivent « être poursuivies voire intensifiées », poursuit-il.
S’il n’est pour l’heure pas question de faire des recommandations spécifiques ou de modifier les normes (valeurs toxicologiques de référence, doses journalières admissibles), une réflexion sur des sujets comme le dépistage du cancer de la prostate aux Antilles ou la prise en charge des troubles cognitifs pourrait être amorcée. L’étude Timoun exclut « en postnatal un impact de l’allaitement », ce qui est plutôt rassurant. Quant aux effets négatifs sur le développement de l’enfant - les « troubles retrouvés pour l’instant ne sont pas très graves » -, ils doivent conduire à « l’amélioration du dispositif de prise en charge des troubles psychomoteurs de l’enfant insuffisant aux Antilles ».
Le rôle du chercheur
Même s’il précise que la place du chercheur « n’est pas de mener le débat mais de l’alimenter », le Dr Multigner s’étonne des dernières recommandations de la HAS sur le dépistage du cancer de la prostate. « Je ne pense pas qu’il faille un dépistage systématique. Mais lorsque la Haute Autorité a travaillé sur le dossier spécifique des Antilles elle n’a pas jugé bon de contacter le Pr Pascal Blanchet chef du service d’urologie dans lequel a été menée l’étude Karuprostate et qui est la personne qui voit le plus de cancers de la prostate dans ce territoire. En tant que chercheur ayant produit des résultats, j’aurai pu avoir un avis à donner », regrette-t-il. Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent aux Antilles et en risque cumulé, à l’âge de 75 ans, « un homme sur 3 va développer un cancer de la prostate ». Le chlordécone n’est qu’un facteur de risque parmi d’autres et sans doute pas le plus important car on sait, rappelle-t-il, que les populations noires ont une susceptibilité génétique accrue à ce type de cancer et que l’alimentation est facteur de risque connu de cancer de la prostate. Mais la question est posée.
Les difficultés à communiquer sur les résultats de la recherche ont été évoquées lors des journées. « C’est un vrai problème. Je pense que ce travail de communication n’a pas été à la mesure de l’enjeu. Mais c’est la première fois que nous avons eu en France à gérer un problème de ce type au niveau régional », souligne le Dr Multigner. Lors d’un débat, un médecin a d’ailleurs déploré un manque d’information. « Je comprends qu’il ne faut pas affoler la population mais nous professionnels de santé nous avons besoin d’information pour répondre aux angoisses des patients », a-t-elle expliqué. La complexité du sujet n’échappe d’ailleurs à aucun des acteurs. « L’exercice est complexe, a reconnu le Dr Multigner. J’ai eu à intervenir auprès des médecins libéraux qui souhaitaient être informés. Mais il faut savoir que les connaissances évoluent de jour en jour. Je n’ai pas la solution miracle ». Le Directeur de l’ARS Martinique a, lui, appelé, à la « transparence sur les données » tout en rappelant « les médecins à leur responsabilité de santé publique ». Martine Ledrans en convient : « la communication n’atteint pas ses cibles même si la Cire essaie de transmettre les résultats notamment à travers sont bulletin largement diffusé et mis en ligne sur le site. C’est pourtant un des volets du plan chlordécone mais il est difficile à mettre en œuvre. C’est beaucoup plus facile de communiquer sur une épidémie de dengue ou sur les résultats d’une étude d’incidence de la leptospirose que de communiquer sur les effets sanitaires avérés ou potentiels du chlordécone ». Incertitude, contexte politique et sociologique rendent cette communication encore plus complexe.
Discours de vérité.
Une opinion partagée par Éric Godard, le chargé de mission interministériel et interrégional du plan chlordécone qui organisait deux jours plus tôt les premières journées de recherche du plan chlordécone pour ce qui de l’agroalimentaire et de l’étude des milieux. Il en est convaincu : « Les gens veulent une communication de vérité. Ils veulent être traités en adulte et peuvent accepter les mauvaises nouvelles. Il faudrait que les problèmes de gestion du risque soient suffisamment connus, diffusés, argumentés. Qu’elle soit présentée avec ses objectifs, ses méthodes mais aussi des faiblesses. Ce type de communication et ses principes étaient prévus dans le plan chlordécone mais en pratique, on a énormément de mal à les faire accepter ». En 2013, les prochaines journées recherches du plan chlordécone entièrement consacrés aux effets du chlordécone sur la santé, seront l’occasion d’une réflexion sur les conditions de cette communication.
L’Académie de médecine s’alarme du désengagement des États-Unis en santé
Un patient opéré avant le week-end a un moins bon pronostic
Maladie rénale chronique : des pistes concrètes pour améliorer le dépistage
Covid : les risques de complications sont présents jusqu’à trente mois après hospitalisation