Les Français y sont de plus en plus favorables, les pouvoirs publics ne l'excluent plus, du moins pour les soignants. L'obligation vaccinale contre le Covid gagne du terrain. Plus de 70 % des Français y sont favorables pour les soignants et près de 60 % l’approuvent même pour l’ensemble de la population. C’est le résultat d’un sondage Odoxa mené cette semaine auprès d’un millier de personnes représentatives de la population.
Écartée par le président de la République au début du mois de juin, l’idée d’une obligation vaccinale fait son chemin alors que la menace d’une quatrième vague épidémique liée à la propagation du variant delta se précise. Elle ciblerait d’abord les soignants, insuffisamment vaccinés, estime le ministre de la Santé, Olivier Véran. Un projet de loi serait à l’étude au sein du gouvernement pour une éventuelle application en septembre.
Mais cela pourrait aller plus loin. Une extension de l’obligation à toute la population n’est plus taboue, même si Olivier Véran l'exclut à ce stade. La Haute Autorité de santé l’évoque explicitement, alors qu’elle y était opposée en décembre dernier. « En fonction de l'évolution du contexte épidémique et en cas de progression insuffisante de la couverture vaccinale, la réflexion sur l'obligation vaccinale pourrait s'étendre à l'ensemble de la population », écrit aujourd’hui la HAS, chargée d’établir pour le gouvernement les recommandations sur ce sujet. En théorie, rien ne s’y oppose.
Un principe qui remonte à 1902
Le principe de l’obligation vaccinale en France n’est pas nouveau. Il est même assez ancien rappelle Diane Roman, professeure à l’école de droit de la Sorbonne. « La première fois qu’une loi a imposé l’obligation vaccinale, c’était en 1902. Il s’agissait à l’époque de protéger la population contre la variole », indique-t-elle. Si cette mesure a disparu avec l’extinction de la maladie, l’obligation vaccinale subsiste en France pour les nourrissons, soumis à 11 vaccins (liste précisée par l’article L3111-2 du code de santé publique), ainsi que pour certaines professions et sur certains territoires (fièvre jaune en Guyane).
Pour exercer dans les établissements publics ou privés, les soignants doivent être immunisés contre l'hépatite B, la diphtérie, le tétanos et la poliomyélite (article L3111-4 du code de la santé publique). L’obligation vaccinale contre la grippe a elle été suspendue en 2006.
« Le ministre peut suspendre une obligation vaccinale, souligne Diane Roman. Mais il ne peut pas ajouter une nouvelle obligation. Seule la loi permettrait de le faire, aussi bien pour les soignants que pour la population générale. »
Une atteinte aux libertés fondamentales ?
La juriste rappelle en effet que cette disposition a des répercussions importantes sur les droits fondamentaux. « Il est normal d’en passer par une loi dans la mesure où l’obligation porte atteinte à certains droits fondamentaux, comme l’intégrité corporelle, le respect de la vie privée, éventuellement le droit à l’instruction puisqu’un étudiant en médecine qui refuserait de se faire vacciner serait exclu de l’enseignement médical », précise Diane Roman.
Une récente décision de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) vient cependant conforter la légitimité de l’obligation vaccinale. Dans un arrêt rendu le 8 avril 2021, elle a certes estimé qu’elle constituait « une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée ». Mais elle juge, dans le même temps, qu’elle est « nécessaire dans une société démocratique », lorsqu’il y a un impératif de santé publique.
En 2015, le Conseil constitutionnel avait déjà renforcé la légitimité de l’obligation vaccinale en refusant de la déclarer contraire à la Constitution dans le cas de la poliomyélite, la diphtérie et le tétanos.
Vaccins expérimentaux, faille juridique ?
Ces décisions peuvent-elles couper court à d’éventuelles contestations de la part des anti-vaccins ? Ce n’est pas garanti. La campagne de vaccination actuelle présente un caractère inédit : les vaccins contre le Covid ont fait l’objet d’une autorisation conditionnelle, contrairement aux vaccins obligatoires largement éprouvés. Les laboratoires à l’origine des sérums anti-covid se sont engagés à poursuivre leurs essais et à fournir aux autorités de nouvelles données pendant deux ans.
Ce caractère « expérimental », selon certains, pourrait ouvrir la voie aux contestations. C’est du moins l’interprétation de Philippe Ségur, professeur de droit public à l’Université de Perpignan Via Domitia. Dans un texte diffusé en ligne, le juriste estime que le principe du consentement, nécessaire dans le cadre d’une expérimentation médicale « constitue un obstacle à l’obligation vaccinale aussi longtemps que les phases de tests cliniques ne seront pas terminées ».
Les experts devront donc statuer sur le caractère expérimental de la campagne vaccinale contre le Covid. « On n’est clairement pas dans un cadre d’expérimentation médicale », estime toutefois Diane Roman. On a passé ce cap. »
Des vaccins sûrs et efficaces
De fait, la HAS, comme l’agence européenne du médicament (EMA), estiment que les données des essais permettent de garantir que les vaccins déployés aujourd’hui présentent un rapport bénéfice sur risque positif. Dans le cas du vaccin de Pfizer, par exemple, l’EMA écrit que « Comirnaty offre un niveau élevé de protection contre la COVID-19, ce qui constitue un besoin critique dans le cadre de la pandémie actuelle » et que « la plupart des effets indésirables sont d’une gravité légère à modérée et disparaissent au bout de quelques jours ».
La sécurité des vaccins n’est pas remise en question. La HAS s’est de nouveau montrée rassurante cette semaine en affirmant que « la sûreté et l'efficacité [des vaccins] ont été confirmées au fil de la campagne de vaccination ». Les autorités attendent cependant davantage de données pour établir avec plus de certitude la durée de la protection accordée par les vaccins, l’impact sur la transmission du virus et l’efficacité avec laquelle ils protègent les personnes immunodéprimées et les femmes enceintes. Les juges pourraient s'appuyer sur ces données s'ils devaient se prononcer sur la légalité de l'obligation vaccinale.
Mise à jour (5 juillet 2021) : « Le vaccin est donc sorti de la sphère pré-AMM »
Interrogé par « le Quotidien », Jérôme Peigné, professeur des universités, membre de l'Institut Droit et santé, spécialiste du droit des produits de santé, estime que les vaccins sont sortis du cadre expérimental. « Même si c'est une AMM conditionnelle, il s'agit bien d'une autorisation de commercialiser le vaccin. Le vaccin est donc sorti de la sphère pré-AMM », explique le juriste. Jérôme Peigné clarifie également la question de la légalité de l'obligation vaccinale qui, selon lui, ne se pose pas sur le plan juridique « puisque c'est la loi qui, seule, peut imposer
une telle obligation ».
« Si une telle vaccination est rendue obligatoire par la loi, sa conformité à la Constitution sera éventuellement invoquée. C'est donc le Conseil constitutionnel qui statuera sur la constitutionnalité de l'obligation vaccinale », précise-t-il.
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