Quelle est l'ampleur des divergences entre les différentes recommandations face à une suspicion de maltraitance physique chez l'enfant ? C'est ce qu'ont cherché à savoir des chercheurs de l’Inserm, de l'Université de Paris, de l’AP-HP et du CHU de Nantes, à travers une étude publiée dans « JAMA Network Open ».
« Notre travail s'inscrit dans un grand mouvement médical de promotion du diagnostic précoce de toutes les maltraitances, explique au « Quotidien » la Pr Catherine Adamsbaum, cheffe de service en radiologie pédiatrique et co-auteure de l'étude. Il est toujours intéressant de voir si des recommandations sont homogènes d'un pays à un autre, et d'analyser comment se justifie une éventuelle hétérogénéité, en particulier dans un domaine où le diagnostic doit être rapide. »
Entre 4 à 16 % des jeunes de moins de 18 ans seraient concernés par la maltraitance. Les nourrissons de moins de 2 ans sont surreprésentés, mais la complexité des diagnostics et la diversité des pratiques conduisent à des retards dans les prises en charge dans un tiers des cas. Selon une étude française conduite en 2015, avant les dernières recommandations (2017) de la Haute Autorité de santé (HAS), seulement 28 % des pédiatres prescrivaient une IRM cérébrale chez une enfant de 9 mois avec fracture du fémur, des ecchymoses et un traumatisme crânien.
Les scientifiques ont donc analysé les recommandations contenues dans 20 documents de référence publiés entre 2010 et 2020, issus de 15 des 24 pays les plus développés selon les Nations unies. Citons, par exemple, les travaux de la HAS en France, du Royal College of Paediatrics and Child Health au Royaume-Uni ou de l’American Academy of Pediatrics aux États-Unis.
Hétérogénéité des examens recommandés et même des définitions
Résultat : il existe une grande divergence entre les recommandations internationales, à l'origine, probablement, des pratiques cliniques différentes pour le diagnostic de maltraitance physique infantile.
Certains examens sont recommandés de façon homogène, comme les radiographies du squelette complet, les scanners et l'IRM cérébrale et les examens du fond de l'œil, même si leur caractère systématique n'est pas toujours précisé. « C'est déjà une base solide, très importante », commente la Pr Adamsbaum.
Mais d’autres examens ne le sont qu’au cas par cas, voire jamais selon les pays. C'est le cas de la réalisation d’une scintigraphie osseuse, cet examen d’imagerie étant destiné à la recherche de fractures en complément de radiographies du squelette. Elle est recommandée par la HAS, l’American Academy of Pediatrics et le Royal College of Paediatrics and Child Health, mais pas par le Royal College of Radiologists du Royaume-Uni.
De même, les instances sont divisées au sujet des radiographies du squelette en cas de doute sur des fractures, mais aussi de l'IRM médullaire, de l'échographie transfontanellaire, ou encore du scanner du thorax et de l'abdomen. « Dans les services, on ressent qu'on le fait au cas pour cas », note la Pr Adamsbaum. Si 16 recommandations sur 20 se rejoignent pour explorer l'hémostase primaire et la coagulation, elles se séparent sur les tests sanguins à prescrire. Et seulement la moitié mentionne la nécessité d'investiguer le métabolisme osseux (bilan phosphocalcique).
Les chercheurs ont également observé des différences significatives dans la définition de « lésions sentinelles », ces lésions traumatiques retrouvées chez des nourrissons qui n’ont pas acquis la capacité de se déplacer seuls et qui doivent conduire à évaluer le risque de maltraitance physique. Parmi les documents analysés, six en donnent une brève caractérisation et se concentrent uniquement sur les lésions cutanées (bleus, hématomes, brûlures), et seulement huit ajoutent la notion de fractures, de lésions intrabuccales, intracrâniennes ou abdominales. « Il faut s'accorder sur la définition du terme même, et pas seulement sur leur emplacement, taille, motif, et nombre », lit-on.
Enfin, les chercheurs relèvent une proportion importante (41 %) de recommandations attendues qui font défaut. Selon eux, même les examens qui ne sont pas recommandés devraient être cités, ne serait-ce que pour expliquer aux praticiens non spécialistes pourquoi ils ne le sont pas.
Plaidoyer pour une conférence de consensus
Les chercheurs appellent ainsi à travailler à un consensus international afin de produire des recommandations claires et standardisées. « La connaissance précise des disparités et insuffisances, telle qu'établie dans notre article, va permettre de les lisser et de se mettre d'accord », commente la Pr Adamsbaum.
Quant à la France, « les recommandations de la HAS sont assez avancées et détaillées, elles ont été endossées à plusieurs reprises par les sociétés savantes et même le Conseil d'État, mais elles méritent d'être réactualisées - comme toute recommandation, par définition, évolutive », considère la Pr Adamsbaum. « L'on pourrait par exemple reprendre la température internationale sur la place de la scintigraphie et du squelette de suivi, ou encore sur l'IRM corps entier au regard des nouvelles études », poursuit-elle.
Mais il n'est pas question de les remettre en cause, encore moins en réponse au procès des bébés secoués. Me Grégoire Etrillard, qui représente une centaine de familles dont un parent est soupçonné de maltraitance, défend la thèse selon laquelle les recommandations de la HAS conduisent à un surdiagnostic. « En cas de suspicion d'un bébé secoué, il y a beaucoup de filtres avant d'arriver à la judiciarisation. De nombreux professionnels (pédiatres, travailleurs sociaux, experts, etc.) se penchent sur une situation. Ce n'est pas le fait de deux personnes ! Dans la grande majorité des cas, le signalement est fait à bon escient, les cas où un expert considère qu'il n'y a pas eu de maltraitance sont relativement rares », conclut la Pr Adamsbaum.
F. Blangis et al, JAMA Network Open, 17 novembre 2021. doi:10.1001/jamanetworkopen.2021.29068
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