Comment mieux repérer les enfants victimes de maltraitance physique ? Alors qu'on estime que 10 % des enfants seraient victimes de maltraitance dans les pays développés, l'exercice reste délicat et souffre d'une forte sous-déclaration.
Pour améliorer le repérage de la maltraitance physique (qui n'est qu'une partie de toutes les maltraitances), une équipe du CHU de Dijon, composée d'une médecin de santé publique et de médecins légistes, a développé en 2019 un algorithme à partir des données du PMSI (programme de médicalisation des systèmes d'information), qui repose lui-même sur la classification internationale des maladies (CIM10).
À partir des codages qui laissent présager une maltraitance chez des enfants hospitalisés (seuls ont été pris en compte les 0-5 ans), cet algorithme a permis de construire deux groupes. Le premier, « maltraitance hautement probable », rassemble les enfants présentant au moment de leur hospitalisation des lésions traumatiques étiquetées comme volontaires. Le second, « maltraitance suspectée », s'applique à des enfants qui présentent au moment de leur hospitalisation des lésions traumatiques suspectes d'une maltraitance physique (par leur localisation ou leur fréquence), sans l'être néanmoins suffisamment.
Fiabilité surtout pour les 1 mois-1 an
Dans quelle mesure cet algorithme est-il fiable ? C'est tout l'enjeu de l'article publié dans le « bulletin épidémiologique hebdomadaire » (BEH) de Santé publique France, ce 17 mai. Les chercheuses ont comparé l'identification réalisée par l'algorithme de quelque 170 enfants hospitalisés entre 2008 et 2019 (parmi eux, 68 ont été classés dans le premier groupe et 102 dans le second), avec leurs dossiers médicaux, épluchés par plusieurs médecins légistes.
Résultat : l'algorithme se révèle fiable à 79,6 % pour les enfants classés dans le groupe 1, et même 94,4 % chez les enfants âgés de 1 mois à 1 an. Ce qui signifie que les situations de maltraitances repérées par l'algorithme rejoignent dans 95 % des cas, celles révélées par les dossiers médicaux, précise l'autrice principale, la Pr Catherine Quantin, médecin de santé publique et DIM (département d'information médicale). Il est légèrement moins solide pour les enfants âgés de moins d'un mois, qui peuvent présenter des lésions liées au traumatisme obstétrical (qui conduisent à des faux positifs de maltraitance), ou pour les enfants de plus d'un an, car les lésions peuvent être liées à des chutes involontaires.
En revanche, l'algorithme est beaucoup moins fiable pour les enfants de 0 à 5 ans du groupe 2, chez qui la maltraitance est seulement suspectée, avec une valeur prédictive de 50 %. « Dans la moitié des cas, l'enfant n'a pas subi de maltraitance », commente la Pr Quantin. Il peut toutefois servir d'alerte chez les petits de 1 mois à 1 an, où la valeur prédictive positive de l'algorithme s'élève à plus de 78 %.
Servir de baromètre et d'alerte
Les chercheuses espèrent que leur algorithme puisse être validé à plus grande échelle, dans d'autres établissements. Mais il a déjà servi lors de la crise du Covid-19 pour alerter les pouvoirs publics sur l'augmentation des cas de maltraitance. En effet, l'équipe de Catherine Quantin a comparé les taux relatifs d'hospitalisation pour maltraitance physique chez les enfants observés en mars et avril 2020, par rapport aux taux du printemps 2017, 2018 et 2019.
L'algorithme a été appliqué pour identifier les enfants de 0 à 5 ans victimes de maltraitance physique (hautement probable). Résultat : il a bien été observé une augmentation de 50 % du taux relatif d'enfants maltraités physiquement lors du premier confinement. Des chiffres transmis au gouvernement, et qui ont notamment conduit, en lien avec l'argumentation de la Société française de pédiatrie, à la réouverture des écoles et crèches. « Cet indicateur permet de suivre l'évolution de la maltraitance au niveau national et local », souligne la Pr Quantin.
Il devrait aussi pouvoir servir de signal d'alerte « complémentaire à l'œil des médecins » dans les services de pédiatrie ou d'urgence, ajoute la Dr Mélanie Loiseau (unité de médecine légale du CHU de Dijon). L'algorithme appliqué au codage renseigné à la sortie de l'hospitalisation de l'enfant pourrait en effet alerter sur un risque de maltraitance même face à des lésions non spécifiques. Ce qui inciterait les professionnels à se pencher sur le dossier de l'enfant et si besoin, à émettre un signalement aux autorités compétentes. Il serait alors un outil de plus à la main des médecins, pour qui le signalement reste une démarche compliquée.
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